J'ai testé pour vous : Dogs in the Vineyard
Les soirées One-Shot de mon club sont pour moi l’occasion de tester en tant que MJ des jeux qui me font de l’œil depuis un moment. En mai dernier, j’ai essayé « Dogs in the Vineyard », un jeu emblématique de la "hype" et réputé difficile à maîtriser.
L'action se situe dans l'ouest américain dans un univers inspiré de l'Utah du XIXème siècle et de ses pionniers mormons. Les personnages sont de jeunes gens choisis par leur communauté pour devenir des "dogs", des chiens de garde de Dieu. Vêtus d'un manteau caractéristique, armés d'un flingue et d'une jarre de terre sacrée, ils vont de communauté en communauté pour apporter leur soutien et combattre l'injustice, le péché et l'influence démoniaque.
Outre le thème, l’originalité du jeu réside d’une part dans un système qui ne gère que les conflits et qui s’inspire en partie du poker et d’autre part dans la construction des scénarios et de la narration. Les scénarios ont tous la même structure : les dogs arrivent dans une communauté et ils doivent y résoudre les problèmes et combattre le péché. Les problèmes suivent tous le même schéma : l’orgueil d’un individu créé une injustice qui provoque le péché. Le péché ouvre la porte à l’influence des démons qui introduisent une fausse doctrine qui peut se transformer en culte hérétique et alors engendrer haine et meurtre.
L’auteur Vincent D.Baker donne des conseils très précis sur la façon de maîtriser. Il n’y pas d’enquête (et pas de jet de perception d’ailleurs) : les éléments se révèlent les uns après les autres et les personnages non-joueurs agissent en fonction de leur agenda et des actions des Dogs. Le Maître se doit « d’escalader » les situations et de ne pas influencer les choix des personnages. L’intérêt d’une partie doit venir des conflits et des choix moraux qu’effectuent les personnages.
Les personnages sont définis par quatre caractéristiques, ses relations (forcément avec des PNJs du scénario), ses possessions et des traits libres. Tous sont exprimés en pool de dés de différentes tailles. Dans les conflits, le joueur lance les dés de deux caractéristiques et des traits, possessions et relations qu’il fait entrer dans le conflit. A tour de rôle, le joueur impliqué et le MJ « relancent » : ils avancent deux dés, l’adversaire doit « suivre », s’il suit avec 1 dé, il prend l’avantage, avec 2 dés, il évite et avec trois dés ou plus il prend le coup. Il peut ensuite relancer à son tour. Le premier qui ne peut suivre ou qui se couche a perdu.
Les questions que je me posais avant la partie étaient :
-
Le système sert-il réellement le propos du jeu, n’est-il pas trop mécanique ?
-
Sans enjeu d’enquête et avec un cadre assez simple, le scénario ne risque t’il pas de rapidement tourner en rond ?
-
L’expérience est-elle si unique et différente d’une partie classique ?
-
Est-ce que les joueurs seront intéressés par incarner des jeunes mormons ?
Le test effectué était sur le village « Tower Creek » décrit dans le livre de base et je vais essayer de répondre à ces quatre questions d’après l’expérience de cette unique partie.
Jouer des jeunes mormons n’a posé aucun souci. Ce qui est -je pense- grisant et aussi un peu déstabilisant pour les joueurs, c’est de jouer le rôle du juge. Quand on y réfléchit, ce n’est pas si fréquent en jeu de rôles : dans Dogs, ils ne sont pas confrontés à un système judiciaire ou n’en sont pas les petits serviteurs, ils sont la doctrine et la loi : ils ont le droit de dire ce qui est bien ou pas et le droit de vie et de mort dans la communauté qu’ils visitent. Cela change la perspective du jeu : de "être un jeune puceau qui va enseigner la bible" à "être un ado à qui on donne le devoir d'exercer sa justice dans une communauté".
J’avais des grosses craintes sur le système de jeu sur son côté mécanique et non - intuitif. Côté conséquence que je n'avais pas vraiment anticipées, les conflits sont assez longs et surtout assez mortels dès que les flingues sortent. Il faut aussi des brouettes de dés de toute taille. Par contre, le fait d’amener les traits, relations et objet au fur à mesure du conflit et d'interpréter le conflit selon les dés avancés a provoqué très naturellement du roleplay et des descriptions autour des actions du conflit : j’ai trouvé ça vraiment intéressant.
Sur la façon de mener, ce n’est pas évident je l’avoue. Il faut oublier de vieux réflexes comme cacher des choses ou les motivations des PNJs. Une difficulté se pose quand les joueurs ne prennent pas de décisions ou pédalent dans la semoule. L’auteur dirait : il faut escalader ! mais les décisions des joueurs sont par nature imprévisibles. Après avoir tué la tante d’un des joueurs qui se livrait à une forme de sorcellerie, ils ont décidé de pardonner à tout le monde et de ne rien faire. Rame MJ, rame ! Autre difficulté : doser l’influence démoniaque, je ne souhaitais pas que ça tourne au Salomon Kane et que ce soit subtil. Je pense y être arrivé mais de justesse. Pas facile. Côté positif, le fait que les personnages des joueurs aient des relations avec les PNJs du village crée immédiatement de la dynamique et poussent les joueurs à agir : excellent !
Quant aux critiques dithyrambiques vues ici ou là sur l’expérience unique que procure le jeu, je dois dire que la partie fut intéressante : les joueurs ont vraiment été confrontés pour leur personnage à l’obligation de faire de choix et de porter un jugement. Qui mérite un châtiment ? Qui doit juste être remis dans le droit chemin ? Qui doit être pardonné ? Devoir ou amitié ? Par contre, j’ai trouvé que la séance ne différait pas tant que cela d’une partie classique : le MJ dirige la partie et joue les PNJs, les conflits se résolvent à coup de dés et il y a un scénario. Ce qui est vraiment bien : c’est la focalisation du système, de la construction du scénario et du thème pour confronter les joueurs aux conséquences de leur choix et à l’exercice de leur liberté.