J'ai testé pour vous : Itras By

Publié le par Arii Stef

Après un an d’arrêt, c’est le retour de la table non-euclidienne, une table mensuelle du club de Blagnac, qui s’attache à tester des jeux. Pour cette partie d’octobre 2019, c’est moi qui me colle au rôle de MJ et je propose une partie d’Itras By.

Présentation du jeu et de la séance

Itras By est un jeu norvégien traduit dans la langue de Maître Gims par l’éditeur suisse 2D Sans Face. Il a pour cadre la cité d’Itras By, cité des années 1920 perdue dans une brume onirique au milieu des terres sauvages. Le jeu suit un double prisme : laisser une grande place à l’onirisme et au surréalisme et introduire dans le jeu les mécanismes du théâtre d’improvisation. C’est bien sûr un jeu à narration partagée où les joueurs introduisent des éléments de l’histoire. Le système de résolution est très léger, à base de cartes avec des résolutions de type « oui, et… », « non mais », comme dans le système FU utilisé dans le jeu « Wastburg ».

Je maîtrisais donc cette partie avec 3 joueurs aguerris. Le scénario était l’un des deux fournis dans le livre de base. Nous avons créé les personnages sur le pouce (une petite heure tout de même en incluant la présentation du jeu). La partie a duré environ 3 heures 30, présentation et création de perso inclus.

L’univers

Pour moi, avant la partie, c’était une vraie gageure de présenter cet univers. Comment en effet présenter un cadre établi tout en expliquant qu’Itras By était une ville onirique où le surréalisme tient une grande place et que chacun était à même d’apporter ses éléments. Il est assez contradictoire de présenter un cadre fixe en disant qu’on peut inventer à l’intérieur. Autre difficulté d’explication, je trouve qu’il est difficile de décréter l’onirisme et l’imagination sans donner des garde-fous et des limites qui permettent aux idées de se développer, la fameuse contrainte créative ! Ce sont les règles d’improvisation (j’y reviendrai) qui font office de garde-fous, mais le livre ne donne pas vraiment de guide sur ce qui est possible ou pas possible dans cet univers en terme de contenu.

Dans le livre, la ville est décrite quartier par quartier. L’idée n’est pas de disposer d’une description exhaustive mais plutôt d’une saveur  générale, de quelques lieux et personnages emblématiques. Church Hill, le quartier où le scénario du jour se déroule, est le quartier des fêtes et des artistes. Le livre se contente de décrire l’ambiance générale et notamment ses côtés les plus surréalistes. Par exemple, il indique qu’on prétend que la brume qui baigne constamment le quartier serait due à la fumée des cigares des churchilliens, des habitants du quartier qui ont juré de goûter à tous les plaisirs de la vie, qui portent comme signe de reconnaissance le même habit (chapeau melon, costume, bretelles) et qui fument toute la journée des cigares à la fumée bleutée. Le livre décrit également quelques lieux comme Les Mille tavernes où les étudiants viennent faire la fêtes, la rue A & -A dont l’entrée est barrée à cause des disparitions et phénomènes mystérieux qui s’y déroulent ou le parc des larmes où vivent d’étranges ermites.

Je me suis donc attaché dans la présentation à résumer ce qui pour moi caractérise les années 20, à évoquer quelques bizarreries de la ville (les habitants inhumains, les transports, la tour de la lune et la déesse araignée, les garde gris…) et à décrire succinctement le quartier de Church Hill. Mais c’est finalement, je trouve, au travers de la création de personnage et des exemples tirés des personnages fournis dans le livre de base, que le ton, l’originalité d’Itras By et l’invitation à la créativité ont été le mieux perçus par les joueurs.

En jeu, j’ai trouvé que le mélange années 20 / onirisme et les idées saugrenues des auteurs avec les quelques apports de l’improvisation ont bien fonctionné et ont amené une expérience de jeu en termes d’univers conforme à ce que j’imaginais.

Le système

Le premier contact avec le système de jeu est la création de personnage que nous avons testée. Aucune caractéristique, pas de compétences, aucun chiffre : cela pose l’ambiance. Le personnage se crée en plusieurs étapes : le concept, les qualités dramatiques, les aimants à intrigues, etc… Il y a 8 ou 9 en tout. Les personnages fournis et exemples dans le livre de base ont bien aidé les joueurs à prendre leur marque et faire leur choix. Comme il s’agissait d’un one-shot, j’ai commencé par lier chaque personnage à Edgar, l’étudiant dont la disparition est l’accroche du premier scénario. Nous nous sommes donc retrouvés avec :

  • Un galériste, personnification mécontente d’une idée rejetée (le classicisme en peinture), dont le visage se « cubise » depuis qu’Edgar a fait son portrait.
  • Un jeune gorille lettré, collectionneur, victime de pelades, à qui Edgar a promis un recueil de poésie avec des rimes en « ouque »
  • Une belle jeune femme en noir et blanc sortie d’un film dont Edgar a fait les décors. Elle cherche le vrai amour et est prête à tuer pour cela.

Le système de jeu prévoit un large partage de narration entre joueurs et maître de jeu. Il a été peu utilisé en jeu. C’est lié je pense au scénario (voir plus loin) et aussi à nos habitudes. Il manque aussi je pense d’outils pour le favoriser.

L’outil principal pour cadrer la narration des joueurs sont directement inspirés du théâtre d’improvisation, dont je suis absolument ignare au passage. Quelques exemples de ces règles : ne bloquez pas, construisez sur ce que les autres ont dit, réincorporez des éléments utilisés auparavant…

Autre outil, les cartes d’improvisation : une carte par joueur (y compris le MJ) et par partie. Ces cartes fournies avec le jeu sont à utiliser quand l’action s’enlise ou quand le souhaite les joueurs. Elles présentent une situation sensée favoriser l’improvisation. Bon, seule une carte a été utilisée dans la partie, elle en correspondait tellement pas à la situation que j’ai décidé de la laisser de côté, malgré l’interdiction formelle qui en est faite dans les règles.

Côté résolution, le système de carte de résolution a bien fonctionné, c’est simple et efficace.

Le scénario

Le livre de base précise que le jeu peut être joué avec deux types de scénarios : des scénarios « classiques » avec une intrigue prévue, un fil rouge sur lequel l’improvisation ne peut intervenir. C’était le cas pour le scénario de cette soirée, où il fallait retrouver Edgar, un étudiant très doué en art ; la narration des joueurs ne pouvait pas aboutir à « je tombe sur Edgar ». L’autre type de scénario prévoit une situation de base sur laquelle l’improvisation des joueurs crée le développement de l’intrigue. C’est le cas de l’autre scénario du livre de base.

Les personnages sont donc partis à la recherche d’Edgar, sillonnant divers bars, restaurants et fumeries de Church Hill. J’ai assez aimé ce scénario à la fois drôle et sombre, avec un twist final sympathique.

Néanmoins, si les joueurs ont peu pris le pouvoir narratif que leur permettent les règles, c’est en grande partie du fait de la structure de ce scénario. Il prend la forme d’une enquête et les joueurs peuvent légitimement se demander comment broder quand on risque à tout moment de déborder sur le fil rouge du scénario. Finalement, les scénarios à intrigue totalement libre doivent être plus adéquats pour favoriser l’improvisation.

Conclusion

Du côté du système de jeu, l’équilibre est difficile entre la richesse et cohérence de l’intrigue et du cadre d’une part et l’improvisation et le pouvoir narratif aux joueurs d’autre part. La partie a d’ailleurs été plutôt pauvre en improvisation et comme indiqué, le type de scénario a contribué à brider la prise d’initiative.

Mais, je trouve que les outils fournis ne sont pas forcément suffisants. Les cartes d’improvisation et les règles d’improvisation, c’est bien mais cela touche à la forme et au rythme. Or, on est dans Itras By dans un monde imaginaire et il y a un scénario (quel que soit sa forme) et le jeu ne donne pas vraiment d’outils, de règles ou de contraintes pour le contenu de l’improvisation. Sur quoi puis-je improviser ? Quelles sont les limites vis-à-vis du monde / de l’intrigue ? En tant que joueur, je n’aurais pas forcément été à l’aise je pense pour improviser de ce fait. Je trouve que parfois le jeu a le cul entre deux chaises entre le jeu de rôle traditionnel (MJ / scénario) et des formes plus novatrices (pouvoir narratif aux joueurs, scénario improvisé, bac à sable).

Sinon, pour finir sur la note positive que mérite la partie, le plus marquant de l’expérience a été pour moi que l’atmosphère surréaliste de la ville a été bien rendue et a été vraiment plaisante. La transmission de cet atmosphère s’effectue grâce à tous les exemples et les descriptions de lieux et de personnages inclus dans le livre de base. Avec un peu de pratique associée à l’utilisation des cartes d’improvisation, cela peut constituer un bon guide pour le contenu de l’improvisation et inciter les joueurs à se lâcher.

Pour compléter, voici le retour de l'un des joueurs

 

Mon retour en bref

L’univers

Les plus

  • J’avoue, c’est le côté surréaliste et onirique, parfois absurde qui me plaît le plus dans cet univers : les gens dont le visage est resté coincé lors d’une grimace par grand vent, singes conservateurs, les transports publics incompréhensibles, la fumée du quartier créé par les cigares de ses habitants,…

Les moins

  • Entre description figée d’un univers et pouvoir d’improvisation laissé aux joueurs, il peut être difficile de se situer

 

Le système

Les plus

  • L’idée d’appliquer les règles du théâtre d’improvisation au jeu de rôles
  • Les cartes de résolution
  • L’absence de chiffres

Les moins

  • Peu d’outils pour cadrer / favoriser / tutorer l’improvisation sur son contenu

 

Le scénario

Les plus

  • Le personnage d’Edgar et les connexions possibles aux personnages
  • Le twist de résolution

Les moins

  • Compatibilité avec l’improvisation discutable

 

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