J'ai lu : Keltia
Présentation
Keltia est un jeu de rôle de l’éditeur 7ème Cercle paru en 2012. Il faisait suite à deux grands succès de l’éditeur : Qin et Yggdrasill qui partagent avec Keltia le fait d’être des jeux historiques-fantastiques. Qin mettait en scène la Chine des Royaumes Combattants, Yggdrasill une Scandinavie pré-viking. Keltia prend place dans l’île de Bretagne durant les âges sombres. C’est l’époque où le pays est déserté par l’Empire romain et attaqué de toute part par des envahisseurs germaniques, irlandais et pictes.
Comme pour les deux précédents jeux, le contexte historique est associé à un genre ou une tradition littéraire. Pour Qin, c’était le Wu Xia (sabres et arts martiaux), pour Yggdrasill les Sagas anciennes et notamment celle de Hrolf Kraki. Pour Keltia, c’est la geste arthurienne. Attention néanmoins, ce n’est pas le Roi Arthur des Romans de la Table Ronde, de la chevalerie et de l’amour courtois, mais plutôt celui évoqué dans les légendes galloises, certainement bien plus proche de la réalité historique.
La chute de la Bretagne romaine et la naissance d’un mythe
L’époque du jeu est une période bien particulière. La dernière garnison romaine a quitté l’île de Bretagne et les anciens supplétifs de l’empire (angles, saxons et jutes) d’abord mercenaires des rois bretons prennent maintenant par la force les terres qu’on n’avait pas voulu leur céder. Des tribus entières migrent maintenant du nord de l’Europe vers l’île dépeuplée. Les peuples qui n’étaient pas incorporés dans l’empire (irlandais et pictes) s’attaquent également aux petits royaumes bretons qui s’entredéchirent. C’est une vraie période de décadence : les villes sont abandonnées, l’usage du latin périclite, on réoccupe les anciens forts, ceux d’avant la conquête romaine, pour leurs emplacements stratégiques et défensifs. Le christianisme est encore loin d’être majoritaire, dieux anciens, bardes et druides sont toujours honorés. Le héros de la résistance contre les étrangers, le Haut-roi se fait vieux et la division affaiblit les bretons dans leur lutte contre saxons et scottis.
Je n’avais pas été hypé par le jeu et son contexte. J’avais vu le film Le Roi Arthur de 2004 qui se veut historique (Arthur y est un officier romain d’un régiment sarmate) et j’avais trouvé le contexte historique des âges sombres plutôt fade et déprimant. Je préfère de loin le Arthur de Pendragon, bien qu’il soit beaucoup plus fictif et anachronique, et son style chevaleresque assez flamboyant. Je trouvais que la période des âges sombres devait être franchement difficile à mettre en scène et désespérée.
Mais voilà, je suis tombé sur le jeu d’occasion à vil prix lors d’une convention et ayant pas mal joué à Qin et Yggdrasill, je me suis laissé tenter. Le livre reprend presqu’exactement le plan et le système de jeu d’Yggdrasill. Les illustrations sont vraiment sympathiques et on prend plaisir à feuilleter le livre même si la mise en page apparaît un peu datée par rapport à la production actuelle. Les auteurs choisissent d’être fidèles aux noms gallois / bretons des royaumes et des personnages ainsi que l’orthographe du gallois. Ceci désoriente pas mal mais c’est logique dans une perspective d’être proche de l’histoire. Le livre de base passe en revue les différents royaumes bretons (bizarrement la petite Bretagne n’est pas abordée), puis la vie quotidienne, viennent ensuite le système (avec la magie spécifique), un scénario et des appendices dont un guide de prononciation qu’on aurait espéré plus tôt.
Un mot sur le système
Le système est basé sur des D10 dans un duo caractéristique / compétence très classique. Le joueur lance autant de D10 que le score de sa caractéristique et garde les deux meilleurs qu’il additionne. Il y ajoute le score de la compétence. Il doit battre la difficulté (14 pour une difficulté moyenne) ou la résistance de son opposant. C’est un système fonctionnel mais comme pour Yggdrasill, je le trouve insuffisamment coloré par l’univers ou en adéquation avec les thèmes du jeu.
Une des questions fondamentales dans un jeu à composante historique est de savoir ce qu’on y joue, qui sont les personnages et que viennent-ils y faire ? Déjà, on y joue des bretons (pas de saxons ou de pictes) mais sur la fonction sociale du groupe ou des persos, le jeu n’y répond pas dans son système. Il prévoit qu’on puisse jouer à peu près n’importe quelle classe sociale (y compris des mineurs !). En revanche, dès qu’on attaque le scénario, on comprend que la campagne et le jeu sont plutôt conçus pour des personnages nobles ou avec un fort statut social (druide, barde).
Le début de la campagne
Parlons-en du scénario justement. J’ai été très étonné par ce scénario. Les personnages participent au Haut Conseil du Royaume de Bretagne à Caer Lundein (Londres). Le vieux haut-roi Aurelianus Wledig doit y annoncer son successeur. Ce scénario est bizarre pour deux raisons. Tout d’abord, il s’agit d’événements auxquels les personnages réagissent mais il n’y a pas réellement d’intrigue à dénouer. Ensuite, ils prennent d’un coup toute la complexité de l’univers du jeu, l’ensemble des protagonistes nobles étant présents sur place et ce, sans préalable. Un scénario de livre de base a généralement plusieurs objectifs : introduire au monde, montrer ce qu’est un scénario-type du jeu et éventuellement introduire la grande campagne du jeu. Dans le livre de base de Keltia, seul le dernier objectif est poursuivi. En tant qu’introduction, la masse d’information et de PNJs est beaucoup trop lourde à digérer. En tant que scénario-type, les personnages n’y font pas grand-chose à part choisir leur camp. En revanche, il prépare la campagne où les personnages seront des proches du petit-fils d’Aurelianus, un jeune homme appelé Arthur !
Conclusion
Ce monde en déliquescence et la période historique du jeu ont titillé mon imagination. Réaliser une synthèse cohérente entre les différentes sources et approches possibles n’a pas dû être une mince affaire. La période est quand même largement à la fois enrobée de brumes (très peu de sources) et un creuset de tout un tas d’interprétation et de délires autour de l’historicité du Roi Arthur et les invasions anglo-saxonnes. Je suis donc assez admiratif que les auteurs aient pu présenter un univers cohérent. Néanmoins, le livre de base m’a désappointé sur plusieurs points. La description de l’univers dans le jeu a de nombreux défauts : elle est aride et il manque beaucoup d’éléments pour créer ses propres scénarios. Le maître du jeu ne dispose que de peu d’éléments sur les adversaires des bretons (aucun PNJ saxon ou picte) ou sur la relation entre religions chrétiennes et païennes (c’est vague) par exemple. Le scénario proposé n’est pas un scénario de livre de base mais il introduit une grande campagne. Le jeu vaudra par la qualité de cette campagne qui est distillé dans chacun des suppléments et j’ai maintenant envie de lire la suite… je suis faible !