Retour d'expérience sur la campagne officielle d’Ecryme
A travers ce document, je vais essayer de faire partager mon retour d’expérience sur la campagne officielle de la deuxième édition d’Ecryme. Je l’ai menée de 2019 à 2022 sur une base mensuelle. Nous avons joué environ 27 séances. Les résumés des parties se trouvent sur le site de mon club. J’ai eu quelques déboires pour concevoir ce document (notamment la perte de mes fichiers de préparation des parties) et le temps a passé, rendant mes souvenirs moins précis. Néanmoins, j’espère qu’il pourra être utile à des meneurs de jeu qui préparent cette extraordinaire campagne.
Voici un petit index des articles abordés :
- Considérations générales : Présentation de la campagne - La fiction jouée - Création de personnages
- Dans le Transécryme : Introduction dans la partie - Gestion des Flashbacks - Les trames d'Hodologie à rebours - Les PNJs du train - Rythme des révélations - Manque de Cartes et de Repères - L'Attentat - Sableryne - Cordâmes
- Venice : Le passage par Méandre - Appréhension de Venice - Rythme et chronologie - L'asile humaniste - Les entreprises des PJs - Les PNJs de Venice - L'ambivalence - La possession céphalique - La Révolution - Céphalie ou non - La Chasse aux Effluents - L'attitude du Métropolite - Claire - La recherche des Mines et de l'Enfant
La campagne comprend trois parties, réparties sur trois ouvrages : « Hodologie à rebours » dans le livre de base, « La Balade d’un troubadour muet » et « Du Sang dans les canaux de Venice » dans les suppléments éponymes. D’un point de vue personnelle, je considère qu’on peut la diviser en deux grandes parties : l’une où les personnages empruntent le Transécryme et l’autre quand ils séjournent à Vénice. Les deux parties sont très différentes dans leur conception et leur scénarisation. Dans le Transécryme, le scénario se déroule plus sur des rails (désolé je n’ai pas pu m’en empêcher) : il existe un déroulement assez linéaire et les étapes du train dans des principautés traversières donnent lieu à des scénarios spécifiques. A Venice, si les enjeux et les possibilités de résolution sont fixés, le scénario prend plus la forme d’un gros bac à sable avec des factions et les événements d’une révolution qui impactent les personnages.
A ceux qui ne la connaissent pas et qui seraient intéressés par la faire jouer, je vais essayer d’en dégager les principaux thèmes et sujets.
- Le rapport au passé et à la mémoire : la campagne commence par des flashbacks, des révélations sont découvertes sur le passé des personnages à certaines étapes, ils s’aperçoivent que leurs souvenirs ont été manipulés. La campagne est donc un retour sur le passé des personnages. Ce passé n’est d’ailleurs pas défini. Est-ce à dire que cette quête est illusoire, que leur mémoire a été tellement altérée par les Effluents qu’elle s’avère impossible ?
- La découverte de la Céphalie : la présence du surnaturel dans Ecryme, les pouvoirs de l’esprit et les rapports entre l’Ecryme et les émotions, sont des sujets importants de la campagne et deviennent des éléments prégnants au fil des événements. La campagne est sensée amener les personnages du niveau Ecryme vers le niveau Céphale. J’en reparlerai, mais si les joueurs sont en tant soit peu curieux, vu la longueur de la campagne, je ne vois pas comment ce passage pourrait arriver si tard.
- Le rapport entre l’Ecryme et les sentiments : cet aspect lié au précédent est un des secrets du jeu : l’écryme n’est pas une matière morte, elle est influencée par les sentiments collectifs et en retour influence les sentiments des gens.
- La révolution vénicienne : les personnages vont être impliqués dans une révolution dans la Cité des Arts. Les révolutionnaires doivent susciter une certaine attirance ou fascination en même temps que le dégoût et la compréhension que l’Enfant (le méchant de l’histoire) tire les ficelles. Il est impossible aussi de ne pas prendre parti. Quelle que soit leur attitude initiale, la révolution affectera leur situation et ils devront faire des choix. C’est l’occasion de voir comme ils s’adaptent devant une société qui se transforme à vue d’œil et comment réagir face à un déchaînement de violence auxquels ils assistent ou ils participent.
- Le sacrifice et les mains sales : Pour vaincre l’Enfant, il faudra faire un sacrifice ultime. De même dans leur quête, ils devront parfois recourir à des méthodes extrêmes. Rester pur et droit, c’est se condamner. Mais en transigeant avec la morale, ne commencent-ils pas à ressembler à leurs bourreaux, les Effluents ?
J’ai une grande expérience de la maîtrise et j’ai trouvé cette campagne plutôt difficile à mener. Les principales difficultés que j’ai pu rencontrer sont de l’ordre de la gestion du rythme (j’en parle plus loin), de la présence de nombreux non-dits ou problématiques peu explicites (comment tisser les trames du passé des personnages et leur rapport avec les Effluents est un exemple) et de la multiplicité des PNJs et factions à Venice. Mais j’ai trouvé que le jeu en valait la chandelle et que cette campagne se trouve largement dans le top 5 de celles que j’ai menées.
En termes d’ambiance, l’esthétique et les sujets d’Ecryme portent plutôt vers la noirceur. Mais la Campagne n’est pas tissée uniquement de noir : entre leur rapport avec Claire, la découverte de la cité des arts, leur capacité à mener des projets et pourquoi pas la victoire finale sur un monstre, il y a de quoi mener de la positivité dans la campagne. Le mélange d’ambiance entre luxe, arts, industrie sale, cité tentaculaire et fantastique que propose cette campagne m’a paru bien savoureux.
J’ai bien aimé aussi le système de résolution pour sa simplicité sans qu’il soit absent ou inintéressant. Quand on a essayé la Céphalie, le système a bien tenu le choc.
Vous l’aurez compris, je conseille fortement de proposer cette campagne à vos joueurs.
J’ai mené la campagne officielle d’Ecryme d’octobre 2019 à mars 2022 au rythme d’une partie par mois (hors vacances d’été). La campagne s’est jouée en partie en présentiel, en partie en distanciel du fait des confinements successifs et de la fermeture de notre club pendant de longs mois.
6 joueurs incarnèrent les personnages de la campagne que nous présenterons ci-dessous. Le joueur incarnant Alexane nous quitta au bout de 2 ans, lassé du système et du jeu. Il fut sporadiquement remplacé pour incarner Alexane. Les autres joueurs restèrent du début à la fin.
Les Personnages étaient :
- Antyova, une ancienne militaire, pilote de cerf-volant de combat, accro à l’adrénaline
- Alexane de Meresson, conforme au pré-tiré du livre de base
- Viktor, membre d’une ghilde, voleur, filou et beau-parleur, rêvant d’ascension sociale
- André dit Dédé, mécanicien, sympathisant de la Malachine, incapable de mentir
- Kalliopè, médecin, membre du Ministère de la Subsistance de Méthalume
- Tils, ingénieur, passionné par l’écryme
J’ai respecté assez scrupuleusement le contenu proposé pour chaque ballade, que ce soit en termes d’intrigue, de personnages non-joueurs, de déroulement. J’ai fait quand même quelques adaptations pour « Du Sang dans les Canaux de Venice » que j’explique un peu plus loin. La fiction développée par notre groupe est présentée sur forum du club par ici.
Nous jouions des séances de 3 à 6 heures. Voici le nombre de séances jouées pour chaque partie de la campagne :
- Hodologie à rebours : 5 séances
- La Balade d’un troubadour muet : 7 séances (2 à Sableryne, 2 à Cordâmes, 3 à Méandre)
- Du Sang dans les canaux de Venice : 15 séances
Pour résumer, voici leurs principaux faits d’armes avant d’arriver à Venice :
- Ils ont développé des liens avec Claire, notamment Dédé
- Ils ont rencontré les conducteurs du train
- Les personnages n’ont pu empêcher l’attentat sur le Transécryme (il restait une bombe) mais ont identifié le commanditaire de leur wagon et l’ont buté
- Claire est enlevée
- Ils ont poursuivi le dirigeable du Lys Noir en empruntant un des dirigeables accrochés au Transécryme
- La libération de Claire et le passage à Sableryne sont très tendus. Ils sont obligés de s’interposer plusieurs fois pour éviter des exécutions et le viol de Cyrielle Mureau par les gardes du Transécryme. Ils obtiennent un compromis bancal dont la seule victime est Kunst.
- A Cordâmes, ils parviennent à reconstituer la poupée et à s’enfuir par le phare
- A Méandre, ils vainquent la marionnette et se rendent compte qu’il y a deux tueurs. Ils identifient le lien avec Stanka. Alexane lui fait faire un petit bain d’écryme.
A Venice, la campagne prend un autre tournant, voici leurs actions
- Ils cheminent sur la Traverse qui mène de Méandre à Venice avec un aliéniste qui leur propose de venir loger à l’Asile Humaniste. Ils capturent La Chose et le ramènent à l’Asile. Ils comprennent que quelque chose de bizarre se passe et interroge les crépusculaires du quartier. Ceux-ci interviennent pour rétablir l’ordre.
- Alexane et Viktor s’installent dans un hôtel de luxe et les autres à l’Asile Humaniste
- D’après une liste fournie par Melchior, ils commencent à traquer les Effluents
- Ils assistent à plusieurs événements du Festival et assistent à la montée des Artnarchistes
- Kalliopé se lient avec deux frères, Alof et Maklan, l’un écrivain, l’autre peintre. Elle prend des cours de chant avec Claire auprès de la cantatrice Macha Bertrand. Maklan se suicide mais ils découvrent qu’il s’agit d’un meurtre. Ils déjouent le complot de la Loge des Elogieux contre Macha Bertrand notamment grâce à l’infiltration d’Alexane. Les élogieux sont emprisonnés.
- Leur enquête sur les Effluents les amène vers le Quartier des Mines. Ils mesurent la bizarrerie des lieux et l’agressivité des habitants.
- Ils capturent plusieurs Effluents et les enferment à l’Asile Humaniste. Dédé fait semblant de libérer l’une d’entre elle, elle l’amène dans les mines où ils rencontrent l’Enfant. L’intercession de l’Effluent lui sauve la vie, il se réveille devant l’Asile Humaniste.
- Ils achètent un dirigeable et y ouvrent une maison de passe.
- Ils assistent à la pièce avec le faux assassinat du Doge du Masque, ils comprennent assez vite qu’il s’agit d’une mise en scène et capturent l’un des proches agents du Doge. Antyova couche avec lui pendant sa convalescence et il fait la liaison entre le dirigeable des personnages et l’ex-Doge.
- La Doge de la Note démissionne et le carnaval est annoncé.
- Ils font le lien entre la Doge de la Note, l’attitude étrange des gondoliers et des Artnarchistes, l’Enfant, certains Effluents et le culte des muses.
- Melchior est de plus en plus obsédé de sa quête des effluents et semble se réjouir de la maladie de Claire.
- Les Artnarchistes triomphent et la révolution commence.
- Avec l’aide d’un effluent repenti (le psychiatre Vanderbern) et un éditeur de disque phonographique qu’ils ont « guéri », ils se dotent d’une musique qui agit comme un contre à la composition qui permet à la Doge de la Note de contrôler les esprits des véniciens.
- Le Culte de Claire est plein essor. Les personnages décident d’en profiter pour se protéger des révolutionnaires. Ils décident de rassembler les cultistes pour approcher les mines et en utilisant la musique conçue par l’effluent repenti, ils fragilisent les illusions qui entourent l’entrée des mines.
- Ils s’introduisent en compagnie de Claire et Melchior dans les mines et rencontrent l’Enfant. Melchior leur dit qu’il faut sacrifier Claire pour vaincre l’Enfant. Ils s’y refusent. L’enfant jette leur corps dans l’écryme. Ils meurent tous. Claire est sauve mais sous la coupe de l’Enfant.
Il me semble indispensable de créer des personnages pour la campagne. Un historique déjà bien léché pourrait entrer en contradiction avec les flashbacks et avec le fait que les personnages aient été, enfants, victimes de la Loge des Effluents.
Comme c’était pour la plupart de mes joueurs le premier contact avec Ecryme, je leur ai d’abord présenté le monde. Je me suis servi comme fil conducteur des éléments présentés dans cet article. Pour les personnages, je leur ai présenté différents profils correspondant à ceux que j’avais prévus pour les flashbacks (voir chapitre suivant). Ces profils sont :
- Bourgeois fugitif / Homme de confiance
- Militaire / mercenaire / Garde du corps
- Noble du Capital / Franc Marchand / Fonctionnaire de la Subsistance
- Ghildien fugitif ou en mission / Autre malandrin
- Mécanicien / Culte de la Malachine / Ouvrier
- Erudit / Scientifique / Ingénieur
- Noble traversier désargenté
- Syndicaliste
Le seul élément de background que je leur ai donné, c’est une vague explication de la raison pour laquelle ils se trouvent sur ce quai (recherché, en mission surprise par leur Cartel, ennuis…), que leur billet de première classe leur a été adressé ou donné par le Métropolite Melchior de Borde.
Introduction dans la partie
Le premier scénario de la campagne, « Hodologie à rebours », démarre directement dans le Transécryme. Comme les 3 classes sont décrites, on peut supputer que les auteurs imaginent que les personnages peuvent être répartis dans les trois classes. On comprend que le point commun des personnages est d’avoir croisé le Métropolite Melchior mais tous les flashbacks ne le mettent pas forcément en scène. Est un peu laissé à votre appréciation de justifier auprès des joueurs la présence de leur personnage dans le Transécryme. Cela peut aussi déstabiliser des joueurs habitués à peaufiner l’historique de leur personnage de les laisser dans l’ignorance. Les auteurs ne donnent pas non plus de consigne sur le type de personnage ou des relations éventuelles. Je me permets de vous communiquer les solutions que j’ai trouvées et qui m’ont paru judicieuses.
Tout d’abord, j’ai regroupé les personnages en 1ère classe dans deux compartiments jouxtant celui de Melchior et Claire. C’est d’abord là qu’il y a les PNJs les plus intéressants et donc de développer des interactions avec eux. C’est logique aussi que Melchior veuille les garder près de lui, là aussi cela laisse la possibilité de développer au travers des événements du train et de ses distractions de commencer à établir le lien avec lui et avec Claire. Ils pourront toujours visiter les autres classes à l’occasion de leur enquête. C’est amusant de jouer le dépaysement d’un prolétaire en première classe, si vous avez ce type de personnage.
Voici les types de personnages que j’avais imaginés et les flashbacks auxquels j’avais pensé. Vous trouverez également le nom d’un personnage de notre campagne.
- Bourgeois fugitif / Homme de confiance -> Si les symptômes persistent / L’église des trois aciers
- Militaire / mercenaire / Garde du corps -> Si les symptômes persistent (Antyova)
- Noblesse d’un Konzern / Agent de la Subsistance -> Il n’est de bonne compagnie qui ne se quitte (Alexane)
- Ghildien fugitif ou en mission / Autre malandrin -> Manuscrit de Linzi (Viktor) / L’église des trois aciers
- Mécanicien / Culte de la Malachine-> Il était un petit navire (André)
- Erudit / Scientifique / Ingénieur -> Il était un petit navire (Tils)
- Noble traversier désargenté -> Il était un petit navire / Si les symptômes persistent
- Agent d’un ministère / Fonctionnaire / Flic -> L’église des 3 aciers (Kalliopè) / Manuscrit de Linzi
Gestion des Flashbacks
Une des originalités du début de la campagne consiste à jouer ces flashbacks. Lors de chaque flashback, le joueur concerné incarne son personnage dans le passé et les autres joueurs se retrouvent à jouer des personnages prétirés liés au flashback. J’appréhendais plusieurs biais de cet artifice :
- Que la fiction tombe sur des incohérences ou incompatibilités entre le flashback et la façon dont le joueur s’imaginait son personnage
- Que les joueurs soient ennuyés de jouer un personnage kleenex
Ces appréhensions se sont révélées infondées. Ils sont très bien conçus et permettent de créer des scènes marquantes. Attention néanmoins à bien choisir le personnage de chaque flashback afin que ce soit crédible. En temps de jeu, chaque flashback a duré en moyenne 2h. Nous avons pu en jouer 2 par séance sans que ce soit lourd.
Quelques mots sur chacun d’eux, dans l’ordre où ils ont été joués :
L’église des 3 aciers : ce flashback a bien fonctionné. L’enquête sur un vol de cuivre semble banale au début mais l’ambiguïté du prêtre de l’église des trois aciers et la fin qui reste à la discrétion du MJ devrait plaire à vos joueurs. J’ai opté sur une fin difficilement compréhensible pour plonger les joueurs dans un abîme de perplexité : des soldats semblant avoir la complicité des autorités viennent tuer tout le monde (pas de témoins !). Seul le personnage concerné s’en sort grâce à l’intervention d’un étrange Métropolite qui lui donne un billet pour le Transécryme. Le personnage concerné ne sait finalement pas quelle faction il a fâché ou à laquelle il a nui. C’est très bien ainsi. Dans l’imbroglio de ce flashback, la présence de l’Enfant ne devrait pas attirer plus que ça leur attention.
Il était un petit navire : c’est paradoxalement le flashback le plus haletant mais aussi le moins intéressant à jouer. Les scènes s’enchaînent et les joueurs doivent être pris par le sentiment d’urgence : la poursuite, le départ du bateau et la folie du capitaine. Le flashback devrait logiquement terminer par un « total party kill » mais n’oubliez pas que le(s) personnage(s) dont c’est le flashback doi(ven)t s’en sortir. Réfléchissez donc aux portes de sortie pour le(s) personnage(s) concerné(s) : échasses, scaphandre, échouage sur une traverse, sauvetage par un aérostat… Quand le bateau s’enfoncera dans l’écryme, ce sera trop tard.
Le manuscrit de Linzi : ce flashback propose une mission d’infiltration et de combat. C’est un flashback d’action. Il est conçu pour avoir un haut taux de mortalité. Il serait dommage que le PJ principal y laisse la peau, faites donc bien attention à doser l’adversité et semer la division dans le groupe afin qu’il n’ait aucun remords à sauver sa peau sans s’occuper des autres.
Si les symptômes persistent : Ce flashback met en scène une enquête et le siège d’une principauté traversière. Il est en rapport avec le flashback « L’église des trois aciers ». Mes joueurs n’ont pas fait le lien mais ce n’est pas très grave. Il a été agréable à jouer et il a le mérite de mettre en lumière les magouilles des états et des konzerns. Mais en termes d’histoire personnelle, il a été perçu comme assez artificiel. Il n’a pas apporté grand-chose au background du personnage concerné. Par ailleurs, le livret ne fournit pas de cartes ce qui est assez gênant pour ce flashback. Voir l’article sur les cartes.
Il n’est de bonne compagnie qui ne se quitte : Ce flashback est un huis-clos où l’Enfant apparaît complètement dans son étrangeté. C’est aussi la première apparition manifeste du fantastique dans la campagne. Il a été très apprécié à ma table justement sur cette étrangeté qui laisse planer le doute sur le fantastique ou d’autres explications plus rationnelles (drogue par exemple).
Les trames d’Hodologie à rebours
La ballade « Hodologie à rebours » est organisée en « trames ». La description du train, la vie à bord et ses péripéties constitue la première « trame » de la ballade. La deuxième trame présente les flashbacks. La troisième et la quatrième trame décrivent les éléments liés au sujet principal du scénario : le complot du Lys Noir pour faire sauter le train. La cinquième trame présente les éléments surnaturels et des attitudes étranges des voyageurs qui sont reliés à la présence de Claire. La sixième trame est une affaire de vol sans lien avec l’intrigue principale et justement indiquée comme optionnelle. Je n’ai quasiment pas utilisé cette sixième trame.
J’ai ressenti le besoin de préparer « un chemin de fer » des événements. Le voici :
- Démonstration de Cerf-Volant + Flashback « L’Eglise des 3 aciers »
- Repas au wagon-Restaurant + Flashback « Traverser les Océans du Vide »
- Les Jeux + Flashback « Le Manuscrit de Linzi »
- 1er Vol
- Duel d’escrime et de poésie + Flashback « Si les Symptômes persistent »
- 2ème vol
- Dispute entre 2 passagers
- Tir aux Albâtres + Flashback « Il n'est de bonne compagnie qui ne se quitteFlashback : Il n'est de bonne compagnie qui ne se quitte »
- Visite aux conducteurs
- Personnel Malade
- 3ème vol
- Spectacle de Marionnettes
- L’Attentat
Les rencontres et les interactions avec les PNJs ont entraîné d’autres événements et des initiatives des personnages. Le fil conducteur ne doit constituer qu’une aide et non un carcan. Ces événements se sont étalés sur deux jours pendant ma campagne.
Les PNJs du train
En choisissant de me concentrer sur la première classe, cela m’a permis de bien développer les relations avec les PNJs de leur wagon, ceux de 1ère classe du scénario « Hodologie à rebours ». Les repas et les rencontres au salon du wagon permettent de développer les interactions. Les personnages sont vraiment bien décrits dans le livre. Mais finalement, quand les événements ont commencé à se précipiter, le rôle joué par les personnages « secondaires » est devenu quasiment inexistant. Je pense que c’est un tort, il serait bon d’imaginer leurs réactions après l’attentat et la pause à Sableryne. Pourquoi ne pas prévoir une dernière scène où l’influence de Claire incite ces passagers à des confidences ou des promesses, car ils sont gagnés par une nostalgie précoce de leur voyage. Voici un petit tour d’horizon des personnages du wagon et des relations qu’ils ont pu nouer avec les PJs dans ma campagne.
Akhram Bila : Vantard et désagréable, il a vite fait un suspect potentiel et les personnages ont trouvé de la drogue dans ses affaires. Il sera difficile d’établir des liens avec un tel personnage, mais pourquoi pas, surtout après que la nostalgie fait effet. Ce noble pourrait constituer un mécène utile dans l’avenir. Antyova s’est surtout intéressé à l’un de ses gardes du corps dont il a fait son petit quatre-heures.
Armelle de Montbellaise : Cette dame de la noblesse parisienne est en fait une kleptomane. La trame des vols constitue une intrigue qui n’a pas du tout intéressé mes joueurs et moi non plus d’ailleurs. En revanche, pour ne pas risquer d’être révélée, dans ma campagne, Armelle a accepté les avances d’Alexane. Elle représente l’attrait que Venice exerce sur la haute société mais si elle n’a pas de don artistique particulier et en même temps constitue un masque, une comédienne.
Lionel Néron : Sa dualité libre marchand / idéaliste a sauté aux yeux des personnages dans leurs premiers rapports. La naïveté de ses remarques l’a empêché d’être suspecté trop vite. Sa dispute avec Laurent Nébère n’a pas attiré plus que ça l’attention de mes joueurs. Néanmoins quand les conducteurs du train leur ont parlé de « tumeurs », ils l’ont suspecté. Alexane le trouvant sympathique a cherché à le retourner mais n’y est pas parvenu. Elle s’est résolue à combattre et l’a tué.
Sergei Iorga : L’histoire du changement de rôle entre Sergei et son garde du corps a très vite été détectée mais n’a pas intéressé mes joueurs.
Renata Gounod : Renata (4 lignes dans le livre de base) est surtout un bon contact pour la deuxième partie de la campagne. Je l’ai jouée comme réceptive à la flatterie et jouant les grandes dames, mais se révélant finalement à Venice capricieuse et méprisante.
Andreij Bader : Il a très vite suspecté les personnages de l’avoir volé. Son hostilité à leur égard a été vécu comme de la pure misogynie.
Les personnages ne se sont intéressés aux passagers des autres wagons que quand les conducteurs leur ont parlé des « tumeurs ». Ils ont trouvé de nombreuses bombes mais pas toutes. Je ne me suis pas préoccupé de Johan Jagger (2ème classe) : c’est une erreur, il est important pour démarrer la partie de la campagne se déroulant à Venice.
Au final, mon choix de me concentrer sur la première classe permet de concentrer l’intrigue et d’éviter que le MJ et les joueurs soient noyés dans trop de PNJs mais les joueurs risquent de passer à côté d’éléments importants.
Rythme des révélations
Ecryme est un jeu « à secrets » et la campagne recourt également du même ressort narratif : les apparences du départ sont trompeuses et beaucoup d’éléments le sont également. Anthelme ne s’appelle pas Anthelme mais Melchior. Claire ne va pas retrouver son papa à Venice. Melchior ne les a pas mis dans le train par pur altruisme. Les personnages ont été des sujets d’expérience dans leur enfance et ce souvenir est effacé. Les autres passagers ont tous des buts secrets. La céphalie existe : si, si, je vous jure ! Le train a un côté surnaturel. L’ambiance est au départ plutôt scientiste et elle vire rapidement vers le surnaturel. Claire influence l’ambiance du wagon de 1ère classe où elle se trouve.
Comment doser ces révélations ? Comment préserver la surprise ? La plupart des éléments sont insidieux et donne la puce à l’oreille des joueurs mais ne constituent pas des révélations à proprement parler. En revanche il y a vraiment plusieurs révélateurs importants : le flashback « Il n’est de bonne compagnie qui ne se quitte », la rencontre avec les conducteurs du Transécryme, les visions à Sableryne puis le voyage dans la bohème de Claire, Cordâmes.
Le rôle de l’Ecryme dans la matérialisation des sentiments devient manifeste à Méandre. Le fantastique devient très présent à Venice avec le quartier des mines dont l’apparence change, les Artnarchistes masqués qui n’apparaissent que la nuit, le froid qui arrive, le culte de Claire et sa maladie… N’oubliez cependant pas que la très grande majorité de leurs interlocuteurs nie tout simplement la présence du surnaturel et si les personnages en parlent ouvertement, ils seront l’objet de moqueries et de mépris. Les personnages se rendent comptent de l’aspect surnaturel et peuvent devenir eux-mêmes céphales sous la conduite de Melchior, mais ils devront garder ce secret pour eux ou en discuter avec des initiés, mais jamais ouvertement.
Le rythme des révélations a été dicté dans mon expérience par deux choses : les événements eux-mêmes d’une part et d’autre part l’insistance des personnages pour que Melchior leur en dise plus et les initie.
Manque de cartes et de repère
Cette partie de la campagne manque de cartes et de repères spatio-temporels. Quel est le kilométrage du trajet, sa durée ? A quelle vitesse roule le Transécryme ? Combien y a-t-il de wagons ? On n’a pas de plan du train. On n’a pas de carte des différentes jonctions : Sankt Ankhta (dans les flashbacks), Sableryne, Cordâmes (la cité de Claire) en a bien une mais il est très compliqué de faire coïncider la description avec le plan qui n’a pas de légende…
Pour les distances, je pense que c’est en partie voulu afin d’adapter tout ça à votre gestion du temps dans la campagne mais cela est vraiment très gênant pour des esprits cartésiens aussi bien côté MJ que côté joueurs.
Ce besoin de plans et de repères rationnels, je l’ai ressenti assez fort. Je me suis passé des kilométrages, vitesses et distances en indiquant aux joueurs que les distances entre les cités sont « très importantes ». Je suis un piètre dessinateur de plans et de cartes et je n’utilise que des outils rudimentaires (Powerpoint quand j’ai fait jouer la campagne). J’ai donc beaucoup « piqué » à mes collègues du discord Ecryme et fait quelques plans moi-même.
En voici quelques-uns :
- Plan de Sant Ankhta
- Plan de Sableryne
- Plan de Cordâmes
- Plan du Transécryme
- Méandre
- Les traverses autour de Venice
L’attentat
Le problème de l’attentat est qu’il doit avoir lieu mais que les personnages doivent avoir une chance de l’éviter ou aient l’impression qu’ils l’ont. Il est aussi indispensable que Claire soit enlevée et qu’un aérostat ait pu quitter les lieux. Le conseil que je donne est de faire arriver l’explosion quand les personnages approchent de la vérité. Il est nécessaire qu’ils aient un sentiment d’urgence. Les membres du Lys Noir sont fiers de leurs actes et n’hésitent pas à les revendiquer. Les suspects confrontés à des éléments matériels clament leur attachement au Lys Noir et menacent. Cela permet aux personnages de comprendre ce qu’il passe tout en ayant des éléments cachés.
Quand les personnages se seront rendu compte que Claire a été enlevée (l’enlèvement est vraiment impossible à anticiper car il n’est pas vraiment prémédité), ils vont certainement poursuivre les ravisseurs. Ils s’échappent en aérostat. D’autres aérostats sont accrochés au Transécryme. Mes joueurs ont évidemment négocié pour en emprunter / réquisitionner un et cela a fonctionné. Or cette éventualité n’est pas prévue dans le scénario. Heureusement, ils ont bien raté leurs jets de pilotage et se sont perdus. Au cas où ils y seraient parvenus, j’avais prévu de leur faire subir des tracasseries administratives à Sableryne avec 24 ou 48 h de tôle pour selon les autorités « établir leur identité réelle ».
Le départ en aérostat des terroristes du Lys Noir pose problème. Dans la campagne telle qu’elle est écrite, cela met fin à la poursuite dans le Transécryme. Or, le Transécryme est décrit comme tractant des aérostats. Les personnages de mes joueurs n’ont pas hésité à négocier avec l’un des propriétaires pour poursuivre les terroristes. Cela a fonctionné et une course poursuite s’est engagée. Les jets de pilotage n’ont pas été à la hauteur surtout quand une tempête est arrivée. Cela a permis de mettre la journée de décalage qu’il faut en arrivant à Sableryne.
Sableryne
L’arrêt dans la principauté traversière de Sableryne est motivé d’une part par le besoin de réparer le Transécryme et d’autre part par le passage des terroristes du Lys Noir qui doivent avoir enlevé Claire. C’est un scénario difficile à démêler pour les personnages. En effet, les personnages non-joueurs y jouent sur plusieurs tableaux et certains ont été trompés. Il n’y a pas des méchants et des gentils mais des factions qui poursuivent un agenda personnel, souvent sans scrupule. Cela peut plonger nos amis dans la perplexité. Il faudra faire des choix qui ne seront pas complètement éclairés : avec qui s’allier, que faire avec la révélation du mensonge ou de la trahison...
Ambiguïté des personnages
L’ensemble des PNJs de cet épisode est particulièrement ambigu en termes de motivation : ils sont traversés par des ambitions et avancent en cachant leurs intentions.
Le Seigneur des lieux, Albrecht Mureau, essaye de jouer sur tous les tableaux : ne pas fâcher les propriétaires du Transécryme, tout en faisant un bon coup avec le Lys Noir et diminuer l’influence de l’Aragone sur sa seigneurerie traversière. Mais la disparition de Claire sur ses terres et l’arrivée des personnages le plongent dans l’incompréhension. Il ne peut imaginer que ce soit son fils Ivan qui tente de le déstabiliser.
Celui-ci subit l’influence de Claire. Son plan initial de déstabiliser son père pour prendre sa place est perturbé par sa fascination pour la petite fille.
La présence de la sœur d’Ivan Mureau, Cyrielle, qui veut juste quitter les lieux et rencontrer des personnes de la ville vient ajouter de la confusion pour les personnages des joueurs.
La galerie des employés et proches de la famille régnante est aussi croustillante : il sera difficile aux personnages de déterminer qui est le pourri dans l’histoire. J’ai joué Kunz, le capitaine de la Garde, comme un gars foncièrement antipathique et suspicieux. J’ai trouvé difficile de camper Guillard mais entre sa lucidité et sa démence, sa fidélité à l’Aragone et sa suspicion envers Ivan, il fait un bon client pour le scénario. J’aime aussi Valeri, l’ambivalent aubergiste de la gare du Transécryme et les prêtres de l’Aragone et leur secret bien lourd.
Même les enfants difformes parmi lesquelles est réfugiée Claire apparaissent comme des monstres alors qu’ils sont en fait des victimes.
Claire surnaturelle
L’aspect surnaturel de Claire devient flagrant dans cet épisode de la campagne. Les enfants semblent fascinés par elle et lui vouent un culte. Même les adultes sont influencés.
Il est également prévu une nouvelle vague de souvenirs sous la forme de rêves éveillés ou de flashbacks au contact de Claire. J’ai volontairement mélangé des pulsions malsaines (l’envie d’éclater les enfants anormaux par exemple), des souvenirs personnels que les personnages avaient refoulés (l’ami imaginaire, les séances d’électrodes, etc…) et des souvenirs de Claire ou des indices sur son origine. L’impression de confusion doit obliger les joueurs à se demander si ce sont des souvenirs, des fantasmes ou des sentiments envoyés par Claire.
Les Choix
Les personnages se retrouvent devant de nombreux choix à faire :
- Que faire de la trahison du seigneur Mureau ? Il s’est montré déloyal vis-à-vis du Transécryme mais son fils qui veut le remplacer est une ordure. Les renverser tous les deux signifierait la haine de Cyrielle et l’arrivée aux commandes des prêtres de l’Aragone
- Que faire de la trahison d’Ivan Mureau ? Ivan a soustrait Claire au Lys Noir, il héberge des membres de cette organisation, il complote contre son père mais se promet plus favorable au Transécryme et au progrès.
- Que dire aux conducteurs du Transécryme ? Les conducteurs et les gardes du Transécryme sont très affectés par l’attentat dont le train a été victime. S’ils apprennent la trahison des Mureau, une rage destructrice s’emparera des gardes du Transécryme qui feront un raid sur le château. Ce sera : « pas de quartier pour les nobles et les membres de l’Aragone !». Les personnages vont devoir user de diplomatie.
- Que faire des prêtres de l’Aragone ? Les enfants perdus sont prêts à les massacrer et à les manger. Les personnages laisseront-ils faire ?
- Que faire des enfants perdus ? Ils idolâtrent Claire et sont fanatisés. Que faire d’eux ? Les abandonner ? Leur donner un nouveau but ?
Les choix des joueurs de ma campagne furent les suivants. Ils ont réussi à convaincre les enfants de laisser Claire afin qu’elles puissent continuer à répandre son culte et ils les ont laissés à leur bout de traverse, ils n’ont pas sauvé Léopold mais ont décidé de sauver Baudouin après avoir compris que les Enfants allaient le manger, néanmoins le débat fut rude, une fois Baudouin amené au Transécryme, quant à son destin. La plupart voulait l’exécuter et le balancer à l’Ecryme mais le gentil Dédé s’y est opposé et l’a caché dans sa couchette. Alexane s’est mis Ivan dans la poche et l’a fait parler en couchant avec lui. Ils ont parlé de la trahison d’Albrecht Mureau aux conducteurs : les gardes sont allés cueillir les terroristes et ont voulu violer Cyrielle. Les personnages s’y sont opposés avec succès. Ils ont confronté Albrecht. Ce dernier a avancé ses arguments et envoyé Guillard négocié avec le Transécryme. Les conducteurs ont obtenu des garanties et des avantages. Il a fallu trouver un bouc-émissaire : ce fut Kunst.
Cordâmes
L’épisode de Cordâmes a été assez marquant dans la campagne que j’ai menée pour deux raisons : tout d’abord, il est violent et rythmé avec le compte-à-rebours de l’effondrement du monde et la présence du « monstre », ensuite, il marque la présence définitive du surnaturel.
Ce qui frappe d’abord les joueurs, c’est l’étrangeté de la situation : l’arrivée à la gare, le métropolite blessé et inconscient, les liges remplacés par des boutons, … Il faut imaginer un monde compris par un enfant mais où les acteurs seraient autonomes et dont les motivations sont comprises à hauteur d’enfant. Cordâmes c’est le monde selon Claire. J’ai pour ma part assez insisté sur deux aspects : le côté enfantin des échanges économiques, des situations et des motivations (les boutons, les rapports entre les gens, la mycose qui devient des champignons de Paris…) et la non-compréhension du rapport entre les sentiments et la sexualité.
Cordâmes, c’est aussi un monde qui s’écroule. La difficulté a été de maintenir ce sentiment de fin du monde et de laisser suffisamment de temps aux personnages pour comprendre ce qui se passe et trouver les différentes parties de la poupée. Pour le temps, c’est vraiment le point que j’ai du mal à gérer, les joueurs souhaitant explorer différentes pistes et étant finalement assez indécis. J’ai trouvé qu’il y avait peut-être trop de pièces de la poupée à récupérer. La solution réside dans la possibilité d’en supprimer une ou deux ou d’en faciliter la découverte. Il ne faut pas oublier que vous êtes dans un monde onirique, la découverte des PNJs peut être fortuite ou forcée : la cohérence n’est pas forcément de mise. Autre difficulté, maintenir le sentiment d’insécurité avec le monstre : après la première rencontre (très mortelle), s’il intervient trop souvent, les personnages risquent de tous y passer, s’il n’intervient pas, le sentiment de sécurité risque de s’installer chez les joueurs.
Les joueurs doivent comprendre le lien entre la poupée et l’inconscience de Claire : il y a un équilibre difficile entre ne pas « donner » l’explication et ne pas les laisser patauger.
La résolution n’est pas évidente. L’échec est probable et le scénario ne prévoit rien en cas d’échec. C’est pour moi une faille. Je ne vois pas le groupe se trimballer une Claire inconsciente ou terminer la campagne à cet épisode. En cas d’échec, je propose que Claire se réveille néanmoins mais que de temps à autres l’amertume que représente l’enfant prenne le dessus sur la nostalgie que représente Claire. Elle pourrait par épisodes se montrer moqueuse, cruelle ou vindicative, envers eux ou envers ses suivants à Venice. Laissez la possibilité aux personnages par l’hypnose ou tout autre technique apprise de leurs ennemis retourner à Cordâmes et tenter de réparer leurs erreurs.
Le passage par Méandre
Les personnages quittent le Transécryme à Méandre, qui fait office de gare ferroviaire à Venice. J’avais assez peur de ce passage et cela pour deux raisons. D’une part, le meurtre est certes spectaculaire mais qu’est-ce qui les pousse à se sentir concerner ? D’autre part, j’avais peur que la répétition des meurtres en série avec deux meurtriers différents les perde ou les saoule.
Pour le premier écueil, j’ai considéré que l’attente de leur laisser-passer médical pour Venice dure 48 heures, les obligeant à rester sur place. J’ai aussi insisté de façon un peu lourde sur le fait qu’Anthelme reliait la méthode du meurtre aux Effluents et incitait les personnages à enquêter.
Pour le second écueil, mes joueurs se sont vite doutés du problème devant l’absence du trophée du touriste et les perceptions des témoins concernant le meurtrier qui ne collaient pas.
Pour leur mettre la pression, je leur ai collé une tueuse de la ghilde des serviables que le parrain leur a laissé pour les assister. Comme ils n’en a pas eu besoin, je l’ai oubliée la moitié du temps. C’est devenu un sujet de plaisanterie comme quoi c’était un boulet.
J’avais réussi à tisser un premier lien entre Stanka Tramonte, la journaliste dont les articles prennent forme au travers du monstre d’écryme. Quand ils ont compris le lien, ils n’ont pas hésité à la balancer dans l’écryme.
Finalement, ce passage que je craignais insipide et peu rythmé a été plutôt réussi je trouve. Mon seul regret est qu’à part un PNJ créé sur le pouce (la maitresse de Viktor l’ex-ghildien), peu de liens ont été maintenus ensuite à Venice. Venice et Méandre sont relativement éloignés au final.
Appréhension de l’environnement et de la cité
Venice est une jonction immense avec une organisation étrange et des corps assez « gaboritiens ». Il n’est pas forcément aisé de bien saisir l’ensemble et encore moins de le retranscrire aux joueurs. Je vous conseille de réaliser vos propres aides de jeu sous forme de mind map ou de tableaux sur Power Point afin de décrire les différentes organisations présentes dans la ville : Loges, Polices, Ghildes, etc… Cela permet de se l’approprier et de recourir à un document que vous avez fait vous-même.
Pour retranscrire l’organisation et l’ambiance de Venice aux joueurs, je propose plusieurs trucs. Le premier est de commencer à en parler sérieusement aux personnages via Melchior ou via des déclarations des PNJs natifs de Méandre. La journaliste Vera peut relier les meurtres en série avec des conflits entre loges (pour dire que cela n’a rien à voir), un tel responsable comme Malfio Valini peut se prévaloir de liens avec une organisation de Venice et donner des explications. Ils peuvent entendre parler de trafic d’œuvre d’art comme d’un délit bien plus grave qu’un assassinat.
Le deuxième est simplement de suivre la proposition de la campagne : un fou échappé rencontré sur la traverse menant de Méandre à Venice qu’il faut ramener l’asile humaniste. J’ai considéré que l’asile humaniste était toujours dirigé par les malades mais que l’influence de l’Enfant et de la musique avait cessé. Cela a donné une ambiance assez rocambolesque quand ils sont reçus par le Directeur de l’Asile qui est un malade et qui remercie les personnages d’avoir ramené Jagger, un malade qui se prétend médecin. Au-delà cette situation, vivre à l’asile humaniste permet d’avoir un point de départ un peu excentré et une découverte progressive de la ville ainsi que de disposer des conseils et éclairages du personnel de l’asile que les personnages auront libéré.
Rythme et chronologie
Le rythme et la chronologie des événements à Venice furent parmi les points les plus compliqués à gérer pour moi dans cette campagne. Je souhaitais prendre mon temps au départ afin que les personnages ressentent la vraie ambiance de Venice avant que la Révolution ne se déclenche. Sinon, comment pourraient-ils comparer l’avant et l’après, s’ils ne connaissent pas l’avant ? Je les ai donc laissés vivre l’enquête et un festival (fête annuelle de Venice) avant de déclencher les éléments sérieux. Mais même sans ce choix, l’étirement du temps du fait des événements d’une révolution est une vraie contrainte à traiter. S’y ajoute l’entrecroisement des différentes trames exposées dans la campagne et la tâche se complexifie encore.
Au début, j’ai joué au jour le jour m’appuyant sur les trames proposées. Mais les joueurs ont eu une impression de trop de ficelles à tirer et de patauger dans la semoule. Parallèlement, ils ont tout de suite identifié les mines comme un endroit problématique. Je ne le savais pas combien exactement mais je savais qu’il y aurait encore de nombreuses séances avant que je leur permette de rencontrer l’Enfant. La campagne a fini par s’essouffler et les trames à avancer à la vitesse d’un escargot neurasthénique. J’ai donc d’utilisé un système permettant de gérer des événements sur une durée plus longue.
Système de jeu par longues périodes
L’idée est que sur une période plus longue (de 1 semaine à 2 mois selon les séances), je demandais aux joueurs de privilégier des actions pour leur personnage dans des catégories prédéterminées. Pour la période de 2 mois, je leur ai demandé de choisir une action dans 5 catégories et de les prioriser :
- Contact avec des factions ou des organisations de Venice
- Recherches céphaliques (ils étaient déjà céphales)
- Projet personnel ou professionnel
- Traque des effluents
- Investigation des événements étranges
L’ordre de priorité indiquait le type de jet qui serait réalisé ainsi que le type de narration qui serait effectuée :
- Une confrontation / Narration longue
- Jet de compétences simple avec avantage (3D+) / Narration courte
- Jet de compétences simple (2D) / Narration courte
- Jet de compétences avec désavantage (3D-) / Narration courte
- Assistance à un autre personnage
Chaque joueur intervenait à tour de rôle et indiquait pour le thème de son choix le sujet qu’il voulait que nous traitassions. Avec l’aide du tableau ci-dessous, je prenais note des sujets traités.
Seule la narration longue donnait lieu à une « vraie » scène de jeu de rôle. La narration courte correspondait à une simple interprétation de ma part du résultat du jet suite à l’explication du joueur sur les intentions du personnage.
L’assistance à un autre personnage indique que le personnage participait à la scène d’un autre personnage sans en être le personnage principal. En cas de narration courte, il se contente d’intervenir selon la règle de l’assistance. J’étais plus souple sur la narration longue.
Nous avons ainsi pu traiter 2 mois de jeu en 2 séances pour reprendre le jeu « au jour le jour » en faisant avancer beaucoup de sujets, comme par exemple l’infiltration dans la Loge des Elogieux ou l’ouverture d’un bordel.
Pour illustrer ce que cela a pu donner en jeu, je vous renvoie aux compte-rendu faits de ces séances ici et là.
L’Asile Humaniste
Les PJs sont sensés s’installer à l’asile humaniste, un établissement de soins psychiatriques, qui doit devenir leur point de chute. Ce dernier est détaillé avec moult détails. J’avais des gros doutes à la lecture sur le fait que ce lieu retienne l’attention des joueurs. La Psychiatrie, ce n’est pas très attirant et selon le vécu de chacun, cela peut même être dérangeant. « Du Sang dans les Canaux de Venice » propose même un scénario parenthèse « spin off » s’y déroulant. Il éclaire sur la crise qui amène les personnages dans ce lieu. Je ne l’ai pas joué.
J’ai néanmoins amené à l’asile humaniste les PJs et leur ai forcé un peu la main, Anthelme décidant de s’y installer avec Claire. Comme je m’y attendais, il y a eu de la reluctance, déjà d’y entrer puis certains joueurs ont préféré installer leur personnage à l’hôtel, plus conforme au rang du PJ. Ensuite, les événements qui ont eu lieu à l’Asile Humaniste et les PNJs du lieu les ont très modérément intéressés. Ils ont surtout vu l’établissement comme un lieu où ils pouvaient enfermer voire torturer tranquillement des Effluents.
J’ai considéré qu’à leur arrivée l’asile était aux mains des malades mais que la crise était finie. Un malade, Théophile, se prend pour le Directeur de l’Asile mais les malades n’opposent pas de grosse résistance à la libération des médecins. Je voulais en profiter que les PJs se lient avec le Capitaine local des Crépusculaires mais la perche n’a pas fonctionné.
Le lieu a finalement rempli en partie son office mais cela reste pour moi un point à risque de la campagne, je vous conseille de prévoir un point de chute alternatif : une troupe de théâtre, un hôtel luxueux ou l’entrepôt / galerie d’un antiquaire.
Les entreprises personnelles des personnages
Cette partie de la campagne invite largement les joueurs à prendre l’initiative de développer les entreprises personnelles de leur personnage. Ces entreprises peuvent être aussi bien personnelles que collectives pour le groupe. C’est l’occasion pour le MJ de développer des trames personnelles pour chacun des PJs liés à leur historique ou à leurs actions à Venice.
Dans notre ballade, les PJs ont décidé d’utiliser un dirigeable comme anence céphalique et de la transformer en bordel. Ils l’ont appelé le 8ème Ciel. La recherche de travailleuses et travailleurs du sexe, de financements, la réparation et le « tuning » du dirigeable acquis, l’ouverture et toutes sortes d’autres actions les ont occupés et ont apporté une part de fun à la campagne. J’ai aussi essayé de tendre des perches pour des romances, des intrigues personnelles, des opportunités, certaines ont relativement bien fonctionné, d’autres moins.
J’ai vu notamment deux difficultés au plein envol de ces intrigues. La première difficulté est qu’au départ, les PJs sont assez concentrés sur la résolution de l’intrigue principale : la traque des Effluents, de l’Enfant et les menaces sur Claire. Ils s’intéressent vite aussi aux bizarreries de Venice. En tout cas, ils ne savent pas qu’ils vont rester longtemps à Venice et n’ont pas d’intérêt particulier à interagir avec des organisations, des gens ou des lieux qui ne leur semblent pas liés à l’intrigue. Je pense donc important que soit en méta-jeu soit par la bouche d’Anthelme, ils apprennent qu’ils vont rester un certain temps à Venice. La deuxième difficulté est liée au rythme et à la gestion de la chronologie, ce dont j’ai parlé précédemment. Mettre en place des périodes de jeu longue avec la possibilité de développer des sujets personnels permet, je pense, aux joueurs de se poser et de tenter d’ouvrir d’autres voies. Je remarque néanmoins dans mon système qu’ils ont souvent mis les actions personnelles comme secondaires. Ce qui paraît logique dans la perspective de résolution du scénario. Peut-être aurais-je dans mon système dû présenter les intrigues personnelles ou les relations personnelles à développer comme des intrigues ou des relations comme les autres afin de ne pas les séparer artificiellement et que les joueurs ne les perçoivent pas comme intrinsèquement secondaires.
Les PNJs de Venice
Du Sang dans les Canaux de Venice propose un vaste panel de PNJs : les importants comme les doges ou le personnel du Panoptique et des figurants (plusieurs pages). En revanche, on peut s’étonner que beaucoup de PNJs de certaines trames sont à peine esquissés alors que la galerie comprend un tas de PNJs dont je ne me suis absolument pas servi. A contrario, aucun PNJ n’est fourni pour des factions importantes dans cette galerie. J’ai donc préféré créer les miens au fur et à mesure selon les actions des personnages : un artistocrate de la Loge de la Note rival de la Doge, un capitaine des Arlequins, une femme d’affaire de Méandre, etc…
Pour créer les PNJs à la volée, je conseille de garder plusieurs points à l’esprit. Tout d’abord, pas de manichéisme : ils doivent rencontrer des artnarchistes sympathiques avec qui ils partagent des buts communs. Cela rendra compliqué aux personnages de prendre position. Le deuxième point, c’est que la Révolution, c’est compliqué aussi pour la plupart des PNJs qui ne sont pas directement impliqués. L’influence de l’Ecryme et des manipulations de l’Enfant et de la Doge de la Note doivent en toucher certains qui basculent de l’autre côté parfois à l’insu de leur plein gré. Enfin, les personnages des joueurs ne sont pas de simples passants, les PNJs les voient aussi comme des outils potentiels. Ils cherchent potentiellement quelque chose à travers eux : cela peut utilitaire ou négatif mais aussi positif. Certains chercheront à se rapprocher de Claire par exemple.
Je ne l’ai pas fait mais, la campagne étant longue, je vous conseille de tracer vos PNJs dans un répertoire pour pouvoir les ressortir ultérieurement. Je me suis assez souvent retrouvé confronté à un PJ qui voulait recontacter tel ou tel PNJ qu’il avait rencontré dans telle circonstance. Comme je fais des comptes-rendus de chaque partie, j’ai pu retrouver mes inventions mais si vous ne le faites pas le répertoire de PNJ peut être une bonne idée.
Les Effluents importants qui officient à Venice n’ont souvent qu’un nom, on ne sait pas ce qu’ils font ou s’ils sont toujours en activité. C’est un peu maigre pour un sujet d’intérêt de Melchior et des personnages. Je vous conseille de les préparer et de les détailler, surtout de les relier à l’intrigue principale. Les PJs ne vont pas manquer de les chercher.
Les PNJs de l’Asile Humaniste sont décrits avec moult détails mais comme je m’y attendais, les PJs s’y sont finalement peu intéressés. Je me suis déjà attardé sur le sujet du Panoptique un plus haut.
Les différents Doges sont bien décrits et ce fut un vrai plaisir de la mettre en scène. La rencontre entre le personnage au profil ghildien et la doge de la Note lors d’une intrusion à son domicile a été savoureuse dans ma campagne.
L’ambivalence
Un point que je trouve important de maintenir dans toute la partie vénicienne, c’est l’ambivalence. Il s’agit de ne pas cantonner l’Artnarchie au camp des méchants, au mal. Si le feu de la Révolution prend, ce n’est pas uniquement du fait des manipulations de l’Enfant : les Artnarchistes apportent vraiment des innovations artistiques, les Antiquaires sont souvent vraiment des exploiteurs et le système d’Artistocratie est vraiment sclérosé. Faites-leur rencontrer des Artnarchistes convaincus et sympathiques, faites viser leurs amis par les Elogieux, donnez-leur à contempler des œuvres artnarchistes vraiment époustouflantes (et d’autres ridicules), rendez le mépris des ouvriers du quartier des mines insupportable. Même si les joueurs ne seront pas dupes, cette ambivalence rend la Révolution plus crédible et concrétise que l’ambiance d’Ecryme n’est pas manichéenne.
La même chose pour les Effluents, si certains sont de vrais pourris (la plupart), certains ont de bonnes intentions à l’origine, d’autres sont des repentis, … Ils peuvent être capables de bonnes actions ou de reconnaissance.
La « possession » céphalique
Dans la campagne, l’influence de l’Enfant et de la Doge de la Note amène à une « possession » des gondoliers et d’artistes lambda qui deviennent la nuit des membres de la Ghilde des Somnambules. J’ai considéré que cette influence pouvait toucher les personnages eux-mêmes ou des PNJs proches, s’ils étaient soumis aux stimuli appropriés : musique de la Doge, hypnose, disques d’embrigadement… J’ai permis néanmoins un « jet de protection » sur Ecrymologie ou Traumatologie. Si le jet était raté, le personnage mettait un masque la nuit suivante et sortait rejoindre ses congénères somnambules, mû par une compulsion à laquelle il ne pouvait résister. Il se réveillait le lendemain, épuisé, inconscient de ses « balades » nocturnes au service de l’Artnarchie et de l’Enfant.
Mais qui dit possession, dit d’une part un moyen de s’en sortir, pour que le personnage ne soit pas condamné à ne pas agir la nuit, et d’autre part non réutilisable à grande échelle pour éviter que les personnages s’en servent pour « désenvoûter » la ville. J’avais opté pour ma part pour une thérapie hypnotique avec l’un des effluents qui avait retourné sa veste. Mes joueurs ont bien essayé d’industrialiser une méthode en créant un culte autour de Claire ou en mettant une contre-musique sur disque. De très bonnes idées…
La révolution
J’ai choisi dans ma campagne de prendre du temps avant de déclencher les événements de Venice. Je l’ai fait pour deux raisons : d’abord afin que les personnages expérimentent l’ambiance normale de Venice et aussi pour qu’ils aient le temps d’établir des liens avec des victimes et des bourreaux de la Révolution. J’en parle aussi dans « Rythme et Chronologie ». Je ne sais pas si ce fut un bon choix mais je pense intéressant que la Révolution les touche, que des proches soient impliqués et qu’ils doivent faire des choix.
Dans cette période, les personnages ont pu assister au festival qui a lieu tous les ans. Ils voient le fonctionnement « normal » de Venice mais sont confrontés aux prémices de la Révolution avec la querelle des anciens et des modernes : des traditionnels contre les Artnarchistes. J’y ai établi également des liens entre les personnages et des artistes qui seront victimes de la Loge des Elogieux. Mes joueurs ont principalement utilisé ce temps par des enquêtes sur des Effluents et mené leurs propres projets.
Créer des liens entre des PNJs avec les personnages n’est pas si aisé. Il y a les traditionnels liens amoureux ou amicaux, mais n’hésitez à faire déborder les liens qu’ils créent pour des raisons « professionnelles ». Les PJs auront souvent à chercher des services ou infiltrer une organisation. Un « collègue » peut suspecter un PJ et le suivre. Un PJ peut faire une promesse dans ce cadre et le PNJ insiste pour que la promesse soit tenue. Un PJ fait confiance à un PNJ mais celui-ci se révèle incontrôlable par folie ou extrémisme. Un PNJ sauve la mise à un PJ dans une situation critique alors qu’il n’a pas de raisons rationnelles de le faire. Un PJ détecte un PNJ dans une organisation ennemie comme potentiellement retournable : il exprime des remords ou sa désapprobation de la politique de son organisation devant le PJ. Les relations ambivalentes se nouent, ce sont les meilleures.
Je n’avais pas vu l’aide de jeu récapitulant les différents axes et événements par stade de la Révolution fournie avec le pledge. Je m’étais fabriqué la mienne. Cela a été très utile pour lancer les différents pistes et événements. Je recommande de l’utiliser. Même si les joueurs ne se saisissent pas de toutes les perches scénaristiques et des événements, cela leur donne l’impression que le monde évolue sans eux et donc un sentiment d’immersion. Il y a en revanche le risque qu’ils aient l’appréhension d’être noyés, de ne rien maîtriser et de n’être que de simples spectateurs. L’équilibre n'est pas aisé à atteindre et dépendra aussi de vos joueurs. Mais pour vous y retrouver vous-mêmes, cette aide de jeu est vraiment utile.
Céphalie ou non
La Campagne est prévue pour être de niveau « Ecryme », c’est-à-dire que les personnages ne sont pas sensés disposer de pouvoirs céphaliques. J’ai contrevenu à ce principe pour deux raisons. Premièrement, les personnages ont pris à partie Melchior/Anthelme, l’accusant de les envoyer au casse-pipe sans leur donner les armes pour se défendre. Cette position est relativement sensée et j’ai décidé que le Métropolite fléchissait et accédait à leur demande. Deuxièmement, je trouvais que la campagne s’essoufflait et c’est une solution que j’ai trouvée pour relancer l’intérêt des joueurs. Cela a très bien marché.
Conseillé-je à mes collègues MJ de suivre la même voie ? Oui, définitivement. A moins que vous la meniez tambour battant et que vous la synthétisiez, la campagne est longue et l’irruption de la céphalie en tant que pouvoir maîtrisé par les personnages renouvelle bien l’ambiance. Il permet aux joueurs de trouver de nouveaux axes de développement pour leur personnage mais surtout cela leur éclaire de nombreux événements d’une autre façon. En plus, j’ai vraiment aimé les règles autour du sujet. Je les ai trouvés élégantes et intéressantes, notamment avec les contrecoups qui nous ont donné quelques fous-rires. Comme toutes les magies libres, les effets ne sont pas toujours évidents à doser mais avec un peu de bouteille, on parvient à les équilibrer pour qu’ils ne soient pas trop puissants ou que l’utilisation de la céphalie restent dangereuse.
La chasse aux effluents
Les effluents cités dans « du Sang dans les Canaux de Venise » sont :
- Vittorio Lentini (Le Feu aux Poudres Stade 1-2)
- Auguste Venterie, kidnappeur d’enfants (La Guerre des Ombres Stade 4-5)
- Jonas Venderbern, entré au service de la Lettre comme psychiatre et auteur (La Guerre des Ombres Stade 4-5)
- Mathias Louchelème, un médecin qui soigne gratuitement le petit peuple des faubourgs (La Guerre des Ombres Stade 4-5)
- Richard Legratou de l’Institut des Sciences Sociales (La Guerre des Ombres Stade 4-5)
- Hélène de Fournetorde et Robert Sacrebile qui aident l’Enfant dans les Mines (La Guerre des Ombres Stade 4-5)
Je trouve que le stade 4-5, c’est bien tard. Il est tellement évident qu’Anthelme et les PJs vont partir dans une traque des effluents qu’il faut alimenter cette traque. Plutôt que d’inventer d’autres effluents, j’ai mis les PJs très tôt sur la liste qu’ils sont sensés trouver chez Auguste Venterie. J’ai fait de Jonas Vanderbern un repenti qui les a bien aidés pour bloquer la capacité des airs de musique à les manipuler.
La capture de Richard Legratou puis de Hélène de Fourbetorde ont été des moments importants. Leur interrogatoire leur a permis de mieux comprendre le rôle de la Religion des Muses et du quartier des mines. C’est aussi un vrai moment de dilemme moral : la torture est-elle un moyen légitime ? que faire d’eux après les avoir interrogés ? Cela a été un vrai sujet de débat pour ne pas dire de dissension parmi les joueurs.
Leur chasse constitue également une obsession du Métropolite qui cherche leur trace au travers des enregistrements de l’Asile Humaniste, le menant lui-même lentement vers la folie.
L’attitude et les motivations du Métropolite
L’attitude, le rôle et les actions d’Anthelme / Melchior dans cette partie de la campagne sont un vrai sujet à faire vivre. En effet, à Venice, son statut de commanditaire omniscient change. La campagne précise qu’il devient de plus en plus obsédé par la traque des Effluents et de l’Enfant et se détache de Claire, se réjouissant presque de sa dégradation physique. Je pense avoir bien traité cet aspect dans la campagne. Aux yeux des PJs, son statut est passé progressivement de sombre commanditaire ultra-balaise pleins de secrets à celui d’un être obsédé pouvant être dangereux dont il convient de réguler les humeurs. Ils n’ont pas hésité à le séquestrer à un moment et à lui forcer la main pour qu’il leur fasse de plus amples révélations et qu’il leur apprenne la céphalie.
Côté MJ de l’écran, j’ai trouvé qu’il manquait dans la campagne un petit récapitulatif sur ce qu’Anthelme savait, ce qu’il cherchait, ses motivations vis-à-vis de Claire ou des PJs, ses pouvoirs. L’information est finalement assez dispersée dans les trois livres qui composent la campagne. Je vous conseille de vous faire une petite fiche et de combler par vous-mêmes les éventuels trous. Cela permettra de vous poser pour réfléchir au personnage d’Anthelme et mieux l’appréhender.
Dans la partie venicienne, j’ai considéré que, du fait d’avoir été une petite victime des Effluents, Anthelme était complètement obsédé par sa vengeance contre la Loge et par sa recherche de l’Enfant, à en devenir fou et monomaniaque. Il finit par ne voir dans Claire qu’un outil pour atteindre l’Enfant. Il ne se rend pas compte du changement opérant dans Venice, ni que la directrice du Panoptique a le béguin pour lui. Il ne comprend pas pourquoi les PJs sont si tièdes à ses initiatives et ne passent pas comme lui des journées entières à écouter les disques d’entretien du Panoptique pour trouver la trace des Effluents, alors qu’ils ont été eux-mêmes des victimes de la Loge.
La maladie de Claire et le culte qui lui est liée
Au fur et à mesure de la progression de la Révolution et du plan de l’Enfant, Claire est de plus en plus malade et Anthelme a l’air de ne pas s’en préoccuper, voire de s’en réjouir. En parallèle, des gens commencent à vénérer Claire, à vouloir la toucher et à s’agenouiller à son passage.
La difficulté de gérer la maladie est qu’il n’y a pas vraiment de solution (à part la résolution finale) et que vos joueurs vont en chercher une de solution. Les miens l’ont même emmenée loin de Venice (faire un tour des jonctions) et ont essayé diverses manipulations céphaliques. L’absence de résultats risque de décourager les joueurs, saoulés à force, voire de les désintéresser du sort de Claire. Il faudrait peut-être leur permettre des petites victoires.
Que vont-ils faire du culte autour d’elle ? Tenter de la soustraire, en profiter ? Mes joueurs ont créé le culte des claritains qui a permis aussi dans leur quartier de repousser l’influence de l’Enfant et de la Révolution. Des canaux d’Ecryme ont commencé à dégeler, les Artbitres à éviter le quartier… Cela aurait pu aussi attirer l’attention sur eux, mais le dénouement est arrivé avant.
A l’approche du dénouement, n’oubliez pas de présenter Claire comme quasiment mourante, cela vous évitera peut-être la fin que j’ai eue dans ma campagne.
La recherche de l’Enfant et la confrontation finale
La confrontation finale avec l’Enfant constitue le dénouement de la campagne. Elle est prévue au fond de son antre : les mines de Venice. Deux écueils peuvent guetter la recherche de l’Enfant pendant leur séjour à Venice. Nous allons les expliciter. L’autre gageure sera de bien gérer la scène de fin, je pense y avoir échouer, nous y reviendrons.
Le premier écueil à Venice sera que les personnages se rapprochent trop vite de la vérité. En effet, les joueurs identifieront rapidement l’Enfant comme le principal « méchant » et le quartier des mines comme l’endroit d’où proviennent les phénomènes étranges qu’ils constatent à Venice. Si les personnages vont droit au but et concentrent leurs efforts sur la recherche de l’Enfant ou sur les mines, ils pourraient arriver précocement à un dénouement. Deux artifices existent pour éviter cela : les contrefeux et le découragement.
Pour les contrefeux, il s’agit de divertir les joueurs de leur objectif premier (qu’il soit les mines ou l’Enfant) en leur mettant dans les pattes des problèmes à gérer : des événements de la Révolution qui influent sur leurs proches ou leurs projets, Melchior qui insiste pour chasser de l’Effluent, un événement qui contredit leur croyance que le centre des problèmes est le Quartier des Mines ou que l’Enfant s’y trouve.
Pour le découragement, faites en sorte que leurs entrées dans le quartier des mines soient une vraie expédition sans résultat probant : les lieux changent d’une fois sur l’autre, les ouvriers (et/ou les art-Bitres après la Révolution) sont ultra agressifs et surtout ils reviennent bredouilles voire avec des séquelles.
Ils finiront par tenter quelque chose d’audacieux pour essayer de se rendre dans les mines et trouver l’Enfant. Dans ma campagne, les personnages ont organisé vers les mines une procession de « claritains » (ceux qui vénèrent Claire) auxquels s’étaient mêlés eux-mêmes, des troupes de l’ex-doge du Masque et des gros gramophones. Ces derniers servaient à diffuser une musique composée par un Effluent repenti pour briser l’harmonie de la musique de la Doge de la Note. Cela leur a permis de perturber l’illusion et d’accéder aux puits de mine au milieu d’un combat entre leurs troupes et des gondoliers.
Pour la scène finale, où les personnages descendent dans la mine et se confrontent à l’Enfant, le scénario donne de nombreux conseils d’ambiance et de gestion. Il est notamment prévu de traiter la descente dans les mines comme un donjon horrifique. Ceux que j’ai retenus pour l’approche consistent à mélanger réalité et chimère (phases oniriques). La confrontation en elle-même doit aboutir à un choix cornélien pour les personnages entre survivre et sauver le monde mais sacrifier Claire. J’ai finalement assez peu respecté et un peu rushé cette scène. La raison en était principalement l’heure tardive et que finalement ce choix est le point le plus intéressant de cette phase. C’est aussi parce que les personnages de mes joueurs avaient déjà visité les mines à plusieurs reprises.
Mes joueurs (et leurs personnages) n’auraient pas pensé à sacrifier Claire, c’est Anthelme qui leur a exposé. Ils ont développé de tels liens avec elle, que c’était pour eux juste impensable. J’aurais peut-être dû plus insister sur sa maladie et sur son inhumanité. Mes joueurs ont décidé de ne pas sacrifier Claire et sont tous morts ! Après leur refus, je leur ai laissé une dernière chance d’abattre l’Enfant. Mais ni eux ni moi n’ont eu une idée qui me semblât bonne.
J’ai beaucoup regretté cette fin. Néanmoins, elle a eu le mérite d’être en phase avec le thème de la campagne : le combat désespéré de la nostalgie contre l’amertume !