J'ai lu : Sapa Inca

Publié le par Arii Stef

Présentation

Sapa Inca est un jeu de rôle historique-fantastique paru chez Odonata Editions suite à un financement participatif de 2023. Il propose de jouer des personnages de l’empire inca au 16ème siècle. La gamme se compose d’un livre de base, d’un écran, d’un livre présentant l’empire, d'un kit d'initiation (dispo gratuitement sur le site de l'éditeur) et d’un livret de scénarios. J’ai souscrit pour les 3 premiers et ce sont donc de ces trois ouvrages dont je vous parlerai dans cet article. En fin d'article, vous trouverez également l'avis de Mickey.

Mes connaissances sur l’empire inca se limitaient à quelques généralités mais j’adore les jeux historiques qui nous immergent dans des cultures différentes. J’étais bien sûr un grand fan de la gamme Légendes.  C’est donc avec curiosité et appétit que j’ai lu ces ouvrages. Au-delà du sujet, j’étais forcément curieux d’apprendre comment les auteurs parvenaient à présenter une culture qui nous est si étrangère

Uchronie

Une des difficultés du jeu de rôle historique, c’est l’angle d’attaque. Très historique, détaillé, ancré dans la chronologie des événements et sans magie, ça peut devenir un carcan à l’imagination, ça effraye ! « Te deum pour un massacre » peut être considéré comme un exemple de cet angle le plus historique. De l’autre côté du spectre, un jeu inspiré de la culture mais reprenant un autre cadre géographique ou mélangeant plusieurs époques ou cultures avec une forte dose de fantastique, ça peut devenir un vrai gloubiboulga, sans saveur ou du moins très éloigné du matériau d’origine, le terme historique devenant même galvaudé. L’exemple le plus connu de cet angle imaginaire est la Légendes des 5 anneaux mais pour reprendre le thème amérindien, je dirais que Teocali se situe dans cette catégorie. Entre les deux extrémités du spectre, toute une série d’autres angles d’attaque sont possibles. Pour Sapa Inca, c’est l’angle de l’uchronie qui a été choisi : et si les espagnols n’avaient pas vaincu les Incas et fait effondrer leur empire et leur culture ? Le jeu explique la victoire partielle des Incas par l’intervention des pouvoirs divins et ceux notamment des « protecteurs » de l’empire. Ces « protecteurs » choisis par les dieux sont issus d’un corps d’agents spéciaux au service du Sapa Inca (l’empereur), les Amachaqs. Les personnages seront bien sûr des membres de cet ordre, dotés de pouvoirs divins hors du commun.

Je dois dire que j’aime cette approche qui combine une certaine exigence quant à l’immersion culturelle tout en laissant libre cours à l’imagination et au fantastique. C’est finalement une approche assez similaire aux jeux de l’ancienne gamme Légendes qui partait du principe que le fantastique tel que l’imaginait la culture concernée existait.

Contenu

Le Livre de Base (288 pages) comprend les éléments essentiels pour jouer : la description de l’univers, les règles du jeu et un scénario. On trouvera également un petit bestiaire fantastique et les secrets du jeu. Ce qui me plaît, c’est tout d’abord que le livre est autoporteur, très honnêtement je pense qu’il n’est pas nécessaire d’en avoir plus pour jouer. Ensuite, c’est beau, les illustrations sont magnifiques et toutes dans le même style graphique. Enfin, je trouve que les auteurs ont trouvé le bon équilibre en termes de descriptions, de détails, on comprend vite et bien, tout en ayant des informations utiles au jeu. Pour les règles, j’en parlerai plus tard, mais j’ai particulièrement apprécié les animaux totems qui donnent à la fois la touche culturelle, des éléments propres à écologie sud-américaine et un côté ludique intéressant.

Au chapitre des regrets et des défauts, je dois dire qu’il y en a tout de même. Déjà sur la forme : il reste des coquilles (d’habitude, je ne les vois pas mais là elles sont flagrantes : des pages xx, des mots avec des lettres inversées…) et la rédaction des règles utilise parfois un style très relâché qui détonne avec le reste de l’ouvrage. Côté fond, je trouve qu’il y a deux manques. En introduction, j’aurais aimé justement que les auteurs présentent de façon plus détaillée leur projet et l’angle uchronique choisi en précisant les écarts avec la vraie histoire. J’aime bien savoir où je mets les pieds. De même, le livre de base ne comporte quasiment aucun conseil sur la façon de maîtriser le jeu, de donner vie à la culture inca, sur les enjeux qui concernent les personnages, les types d’aventures, de campagnes, …

En tant qu’auteur du jeu de rôles amateur « Légendes Tahitiennes » confronté à la même problématique, j’étais forcément curieux de voir comment les auteurs présentaient une culture qui m’était assez étrangère et si à la suite de la lecture, je me sentais capable de lancer des joueurs dans l’aventure. Le pari me semble réussi pour Sapa Inca. On comprend la structure de la société et les éléments de vie quotidienne qui permettront au MJ de s’y retrouver. Le petit guide fourni avec l’écran me semble bien calibré pour les joueurs. Certainement du fait de mon âge, j’ai quand même un peu de mal à imprimer dans mon cerveau le vocabulaire quechua. Je pense que la prochaine relecture avec une perspective de le maîtriser, ce sera plus aisé.

Le livre « Tahuatinsuyu » décrit l’empire Inca et les enclaves espagnoles. Il comprend 2 scénarios liés. Le livre est très indigeste à lire du début à la fin. Je pense qu’il faut plus l’utiliser comme une ressource dans laquelle picorer selon les sujets d’intérêt du maître de jeu. Chaque région est présentée avec ses lieux notables et ses PNJs, un de ses points forts me semble que toutes les informations sont utilisables en jeu. Mais il est pour moi difficile de juger ce contenu sans l’avoir lu dans son entièreté et l’avoir utilisé.

Les deux scénarios mettent en scène une chasse à la Cité Perdue. Les Amachaq y seront dans une étrange relation de collaboration et de concurrence avec les Espagnols.  J’avoue que je n’ai pas été totalement séduit par le scénario. Le début est une enquête qui requiert aux personnages de bien comprendre les forces en présence. Il passe par une mission d’infiltration en zone espagnole. Sa fin bascule dans le fantastique bien énervé avec une cité perdue, des habitants immortels mais sans mémoire. Je crois que ce qui m’a le moins plu, c’est la situation de départ pour laquelle je n’ai pas bien appréhendée le moteur pour les PJs et surtout la fin trop fantastique à mon goût. Il faut néanmoins reconnaître que les deux scénarios doivent piquer l’intérêt des joueurs et les mettre dans des situations difficiles tout en s’appuyant bien sur différents éléments spécifiques au jeu : relations avec les Espagnols, relations avec les autres peuples du Tahuatinsuyu et mythes incas.

Règles

Sapa Inca propose une répartition traditionnelle des rôles entre MJ et joueurs. Son système de jeu est du traditionnel Caractéristiques / Compétences à nombre de succès. Le personnage se définit par quatre caractéristiques (Vipère, Puma, Condor et Dauphin), avec une valeur comprise entre 1 et 6, 2 étant la moyenne humaine. Chaque caractéristique gouverne 5 compétences dont le score est également compris en 1 et 6. Pour effectuer un test, le joueur lance autant de d8 que la somme de sa caractéristique et de sa compétence. Les 3, 4 et 7 (chiffres favorables chez les incas) sont des succès. Il y a des jauges de points permettant des relances (les points d’Inti) et d’utiliser la magie. La magie est liée à l’animal totem du personnage et à son dieu préféré. De ce fait, tous les amachaqs disposent de capacités magiques.

J’avais vu des critiques plutôt négatives sur le système de jeu du fait de son côté trop traditionnel, vieillot. Honnêtement, je ne suis pas un grand analyste de système et j’ai toujours un peu de mal à voir les biais ou points forts d’un système à la lecture. Néanmoins, je dois dire que celui de Sapa Inca me semble à la fois fonctionnel, lié à l’univers et simple à prendre en main : tout ce que j’aime. Si je dois faire quelques critiques, ce sont peut-être les caractéristiques avec des noms d’animaux dont j’oublierai la signification entre chaque partie et une certaine complexité de la lecture du jet de dés. Je ferai un retour plus long lors d’un test mais à la lecture, le système me paraît être bien aligné avec mes goûts.

Conclusion

Le jeu est pour moi est un digne successeur des boîtes Premières Légendes. J’adore et je pense rapidement (à mon échelle) lancer une campagne. Ce que j’apprécie dans le jeu :

  • Une immersion dans la culture inca
  • L’uchronie qui ne dénature pas trop le contexte
  • Un système qui renforce l’immersion en restant simple
  • La forme et le texte me conviennent bien : joli, direct, ludique

 

Post-Scriptum : l'avis de Mickey

Après lecture du livre de base de Sapa Inca, je confirme que le système est trop "tradi" pour ma pratique, désormais (des listes de sorts...), même s'il est prévu pour s'effacer assez rapidement je pense. Et effectivement, si la licence poétique des noms de Caractéristiques peut être originale, beaucoup vont s'habituer à dire "Fait un jet d'Intelligence" au lieu de "fait un jet de Dauphin" tellement c'est assez peu intuitif.

L'univers, par contre, est à l'image de la direction artistique : cohérent, solide, inspirant et beau!
Pour être un amateur éclairé de ces cultures précolombiennes, je retrouve bien l'esprit transmis par les habitants lorsque j'étais au Pérou, les détails esthétiques, les valeurs andines. 
Rien que pour cela, Sapa Inca a une raison d'être car il n'y a que lui à ce jour sur ce créneau culturel.

Concernant l'angle de jeu: être un Amatchaq au service du Sapa Inca est très bien vu et permet de recycler les trames classiques du jeu "de flic", tout en justifiant que les PJs mettent leur nez partout sur le territoire ou dans toutes les couches sociales. De même, les conflits entre peuples conquis ainsi que la "paix" récentes avec Pizarro et ses espagnols, sont de belles opportunités de complots et autres subtilités. 

Les scénarios du kit de démarrages "Missions initiales" ainsi que du livre de base permettent assez bien de s'immerger dans cet univers, sans toutefois renverser la table.

Il reste la partie mystique. A croire qu'en JdR comme en SF, on ne peut viser un succès sans s'inscrire dans la fantasy. Je n'ai rien contre, et je comprends bien l'intérêt de la fantasy pour donner du corps à une métaphore ou un concept. Mais à titre personnel, je n'ai pas encore ressenti l'aspect indispensable de cette notion. Cela aurait pu rester plus "mystique", intangible, subtil. Mais probablement qu'il aurait fallu alors un système plus narratif pour décrire cette sensation, que simulationniste (pour clairement définir ce qui est possible de ce qu'il ne l'est pas). Mais encore une fois, tout est histoire de goût personnel.

Enfin, Tahuatinsuyu est un supplément encyclopédique de contexte, qui - hormis les PNJs de la mini-campagne - ne comporte aucune données liées au système de jeu et pourrait ainsi être totalement réutilisé pour tout jeu voulant s'inscrire dans cette culture Inca. Là encore, il faut saluer l'énorme travail d'assimilation historique et l'écriture qui rend le tout facilement assimilable.

 

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