J'ai (re)lu : Rétrofutur

Publié le par Arii Stef

Rétrofutur est un jeu de rôle paru en 2002 chez le défunt éditeur Multisim. Il a été écrit par un collectif d’auteurs connus et respectés dans le milieu. J’avais acheté ce jeu à sa sortie, intrigué par son originalité et son concept. Je l’avais refermé en me demandant ce que je pourrais en faire. J’avais apprécié son univers mais les règles et la proposition de jeu m’avaient rendu perplexe. J’ai acquis récemment d’occasion d’autres ouvrages de la gamme et le jeu NOC qui lorgne sur les mêmes thèmes me fait de l’œil. Il était donc temps de relire ce vieux jeu que je n’avais pas rouvert depuis 20 ans. 

Rétrofutur met en scène le monde rétrofuturiste des "Twisted 50s". Suite à un contact avec des extraterrestres au XIXème siècle, des technologies nouvelles sont apparues et l’organisation de la société a été transformée. Les états-nations ont cédé la place aux Agences (des entités administratives gérant un pan secteur complet comme un état) et aux Titanopoles (d’immenses complexes urbains enjambant les anciennes frontières). Le temps a passé, les Etrangers ne sont pas venus mais les hommes et les femmes de 1952 vivent dans un enfer urbain et bureaucratique. Quelques résistants ont décidé de se battre contre l’absurdité de ce monde.

Ce que je pensais y trouver

Mes souvenirs de lecture du jeu étaient ceux d’un univers très kafkaïen et sombre, pas très bien décrit concrètement, complexe à se représenter dans son fonctionnement réel. Je me rappelais qu’il était teinté d’une touche de fantastique. Les règles m’avaient paru absconses, voulant se démarquer des systèmes chiffrés mais n’y parvenant absolument pas.

20 ans plus tard, ma relecture du jeu m’a donné une perception un peu différente. Les règles me paraissent encore plus qu’à l’époque une abomination. A part l’Ubik et les effets des « sorts », tout me semble à jeter. Côté univers, le côté imprécis, difficilement jouable, ne m’a pas sauté aux yeux. En revanche, j’ai trouvé que l’univers recelait un trop plein de thèmes : certes il y a le rétrofuturisme (science-fiction dans le passé), mais aussi l’univers administratif oppressant, les complots, la résistance, le fantastique, la mafia des romans noirs, … J’aime les univers riches, à tiroirs, mais il me parait nécessaire que la mayonnaise prenne bien et ne se transforme pas en gloubiboulga. J’avoue que pour Rétrofutur, si j'ai beaucoup aimé l'univers, je me pose un peu la question. Seul un petit test pourra m’en donner une appréciation plus précise.

Les thèmes

L’univers de Rétrofutur est unique et développé par un collectif d’auteurs. Ses inspirations sont multiples mais dans ce qui me parle à moi : je vois une filiation avec les romans de Philip K.Dick dont le vocabulaire est allègrement puisé (Ubik, Substance-Mort…) mais aussi de Kafka et des films de gangsters des années 50. Je vais essayer de passer en revue les thèmes dans une perspective rôliste :

  • Rétrofuturisme : ce thème qui donne son nom au jeu est d’imaginer une science-fiction qui se déroule dans le passé, celui des années 50 en l’occurrence. Dans Rétrofutur, il s’agit d’années 50 où la deuxième guerre mondiale n’a pas eu lieu, le Contact et le système des Agences s’étant déroulés au XIXème siècle. J’y vois une difficulté pour se les représenter : ce mélange des technologies innovantes liées au contact et celles réelles des années 50 ne va pas de soi. Cela pose aussi la question de la représentation de la vie quotidienne.
  • L’univers administratif oppressant : la prise de pouvoir des agences et la perspective de l’arrivée des Etrangers a complétement réorganisé la société qui est devenu une sorte d’enfer administratif coercitif et absurde. Ce contrôle constant mêlé d’absurdité est vraiment un thème important du jeu et le ferment du thème de la Résistance.
  • La résistance : le jeu emprunte aux codes de la Résistance avec la nécessité du secret, de l’illégalité. Si je me permets une critique, autant durant la deuxième guerre mondiale, l’ennemi est bien identifié autant dans Rétrofutur, il est un peu multiforme, résister contre un système absurde constitué de multiples acteurs est différent de résister contre l’occupation et le nazisme. Le projet politique derrière est flou : est-ce le rétablissement des nations, de la démocratie, de la liberté ? Sans ennemi bien identifié et de but clair, le thème perd un peu de son efficacité, je trouve.
  • Le fantastique : pas de jeu de rôle sans fantastique, cet adage se vérifie encore. Ce qui aurait pu être simplement un thème de fond (la venue des extraterrestres) ou technologiques (la technologie des aliens) va beaucoup plus loin. Deux forces « magiques » s’opposent :  la corruption (liée à la technologie des étrangers) et l’au-delà (les personnages qui y sont sensibles sont des « non-A »). Une jauge appelée l’Ubik accumule de la « Substance-Mort » alimentée par les situations absurdes et les relances de mauvais jets de dés des joueurs. Elle se vide quand le MJ déclenche un effet schizoïde où les lois de la réalité n’ont plus cours et l’au-delà ouvre ses portes. J’ai trouvé ce thème très bien traité dans le jeu.
  • La mafia : au départ, je me suis demandé pourquoi le jeu parlait autant de mafia, l’une des 4 factions anti-système. Je me suis rappelé que beaucoup de films des années 50 parlaient des gangsters et de mafias. Le thème doit être raccord avec les 50s.
  • Les complots : des agences omniprésentes mais souvent concurrentes, une résistance avec le culte du secret, des extraterrestres qu’on ne voit jamais, le surnaturel qui affleure, tout ça constitue un terreau propice à des scénarios de complots.

Le système

Le système de Rétrofutur se veut sans chiffre mais il n’y parvient pas. Il se veut sans liste de compétences mais il n’y parvient pas. Il se veut narratif et simple mais il n’y parvient pas. Un vrai essai raté… Bon je juge avant de présenter et sans l’avoir essayé, c’est mal. Je vais donc essayer de le faire avec concision.

Les personnages sont définis par des caractéristiques réparties entre Attributs (déterminé, endurant, schizoïde, gangréné) et Jeu d’influence (administré, violent, corrompu, exclus). Chacune de ses caractéristiques a un niveau mesuré par un adverbe : pas, peu, assez, très. Il dispose aussi selon son historique de compétences (liste à la Prévert), de manœuvres (listées aussi) et de domaines (plus libres). Il n’y a donc aucun chiffre sur la feuille de personnages. Mais bon, entre être très déterminé ou avoir 3 en volonté, perso, je ne vois pas la différence. Si cela aide les plus allergiques aux chiffres à s’immerger, pourquoi pas…

Pour résoudre une action, le jeu fournit une table unique de résolution. En ordonnée, on trouve le niveau de la caractéristique et en abscisse, le nombre de compétences, domaines, manœuvres qui s’appliquent à l’action. Le résultat est un seuil à atteindre avec un dé à 10 faces. On peut décaler d’un ou plusieurs rangs si la difficulté de l’action n’est pas standard. Le système est donc au final bien traditionnel.

Le fantastique

Deux formes de fantastique s’immiscent dans l’univers ordonné des Agences et des titanopoles. Il y a d’une part, l’au-delà, qui naît de l’absurdité de cette société. Les personnages qui y sont sensibles disposent d’une caractéristique « schizoïde » et ils sont appelés non-A. Ils sont capables de déclencher des effets et peuvent acquérir des domaines non-A. La jauge de l’Ubik ressort aussi de l’Au-delà, j’en parle plus loin. L’autre forme de fantastique provient de l’étude de la technologie étrangère et est géré par la caractéristique « gangréné ». Les personnages ayant un score non-nul en gangréné peuvent déclencher des effets inattendus autour de la technologie et des machines.

Les effets possibles appelés effets Ubik sont listés dans le jeu, donnant l’impression d’une liste de sorts. Je les trouve vraiment très originaux et intéressants. Pour illustrer, voici quelques exemples : « Portail Organique » permet de cacher un objet dans son corps, « Métamorphoses » permet de changer une partie du corps de la cible en insectes. Malheureusement, à mon goût, c’est gâché par l’utilisation de trop nombreux paramètres dans le système pour la résolution.

La jauge appelée Ubik est collective : elle se remplit quand les personnages des joueurs sont confrontés à des situations absurdes et traumatisantes ou quand les joueurs souhaitent relancer un jet de dé qui ne leur plaît pas. Elle représente la présence de l’absurde et celle de l’au-delà. Le MJ peut utiliser cette réserve de Substance-Mort quand il veut déclencher un épisode « schizoïde » (irruption du fantastique). Quand la réserve atteint 13, l’effet doit être déclenché. J’ai trouvé ce système assez astucieux et intéressant, c’est à tester pour juger de son applicabilité en jeu.

Les scénarios

Le livre de base comprend 2 scénarios. Le premier « Paradis Perdu » est un véritable bac à sable mais comprend un sous-scénario scripté appelé « Invasion Grille-pain ! ». Ce cadre présente un secteur de l’Alt-France, Paradis, fruit d’une expérience modèle qui vient d’être revendu à un groupe privé. Les Agences se mettent à servir sans s’en rendre compte un parrain de la mafia. Les personnages des joueurs sont des habitants de ce secteur et vont être confrontés à une gestion de plus en plus inique et absurde. Ceci devrait les faire devenir résistant. Le sous-scénario n’a de rapport avec le bac à sable que parce qu’il s’y déroule et met en scène l’irruption du fantastique. J’ai trouvé « Paradis perdu » difficile à mettre en scène et pas totalement en ligne avec l’ambiance « standard » du jeu comme devrait l’être un scénario de livre de base. En effet, les Agences marquent le pas et la mafia entre en jeu. En revanche, le sous-scénario me semble plus en ligne et plus facile à mettre en scène, mais point de résistance à l’intérieur.

Le second scénario « Les Etudiants rêvent-ils de parasites inter-dimensionnels ? » est une enquête dans Alt-London. Sur fond de meurtre barbare en série, de technologie étrangère et de dénégation par les autorités, les Résistants vont devoir enquêter dans l’Université. J’ai aimé ce scénario même si une nouvelle fois l’aspect Résistance semble la grande oubliée de l’intrigue.

Les scénarios sont donc plutôt à mon goût mais je les trouve tous les deux d’une manière ou d’une autre un peu décalage avec le thème ou l’ambiance standard du jeu telle que décrite dans les pages précédentes.

Vais-je y jouer ?

Cette relecture m’a bien plu. Le jeu n’est pas complètement abouti dans ses thèmes et surtout dans ses règles, certes. Mais j’ai envie de tester ces Twisted 50s et leur univers absurde, bizarre à la Philip K.Dick. Je vais lire les ouvrages de la gamme dont je dispose (dont le fameux « les Agences ») et tester le jeu en one-shot. 22 ans après sa sortie, il est temps !

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