J'ai lu Troubleshooters : les Risque-Tout
Voici un petit retour de lecture sur le jeu Troubleshooters : les Risque-tout et ses suppléments.
Ce que c’est ?
Troubleshooters : les Risque-tout est un jeu de rôle ayant pour cadre l’univers des BD franco-belges. Bien sûr, c’est un jeu… suédois, paru en anglais et traduit en français. L’auteur, Krister Sunderlin, est un fan de BD franco-belge, qui lui-même a un très beau coup de crayon et il a réalisé une grande partie des illustrations. Celles-ci sont nombreuses comme de juste pour un jeu inspiré de la BD. L’optique choisie est de proposer comme univers notre monde dans les années 60 – 70, sans fantastique mais avec des inventions scientifiques fantaisistes et quelques points uchroniques (comme une expédition lunaire franco-japonaise). J’ai profité l’été dernier de soldes pour acheter le jeu.
Rapport à la bédé franco-belge
Je suis un grand fan de bandes-dessinées franco-belges et notamment celles dont Troubleshooters se réfère : les classiques de Spirou et Tintin des années 60-70-80. Enfant, j’étais abonné aux deux hebdomadaires et je disposais d’une collection assez importante d’albums. J’étais vraiment mordu et ce jusqu’à l’âge de 12-13 ans, jusqu’à ce qu’une autre passion vienne complètement supplanter celle de la BD : celle du jeu de rôle ! J’ai en effet commencé à délaisser la lecture des hebdomadaires au profit de celles d’ouvrages d’héroïc – fantasy ou de Lovecraft. Depuis, je lis de temps à autres quelques nouveautés très classiques mais la ferveur est complètement passée. Je ne connais quasiment rien de ce qui est sorti depuis les années 90. Récemment néanmoins, je me suis mis à relire et à acheter d’occasion des albums de séries que je n’avais pas complétées à l’époque et dont je me souvenais avec émotion : je pense à 421, Jérôme K.Jérôme Bloche ou Jonathan. Tout cela pour expliquer que je suis vraiment le public pour Troubleshooters : à la fois fan de jeu de rôle et de vieilles BD franco-belges. On aurait dit un jeu conçu pour moi, pourtant …
Doutes sur le jeu
Pourtant, j’avais quelques doutes et appréhensions. Tout d’abord, un style comme la BD franco-belge, n’est pas un univers en soi. Les héros, les sujets et les univers de la BD franco-belges sont très différents d’une série à l’autre. Un style graphique ne peut pas fonder un univers cohérent. Quel angle va choisir le jeu ? Etre un peu généraliste et attrape-tout mais manquer de saveur ? Développer un univers à lui mais restreindre le genre aux goûts de l’auteur ? Offrir des mécanismes de co-construction d’une série de type pbta ? Cela me semblait une équation difficile à résoudre.
Par ailleurs, j’avais entendu dire que le système de jeu était assez traditionnel avec l’usage du dé de pourcentage. J’avais du mal à imaginer comment les mécanismes traditionnels du jeu de rôle pouvaient retranscrire les rouages scénaristiques habituels des BD franco-belges : le héros mis à mal mais qui s’en sort, la capture du héros par le grand méchant qui explique son plan, les péripéties…
Dessin et d100
Un jeu de rôle et l’expérience de jeu qu’il induit proviennent de son univers et son système de jeu. Les craintes exprimées ci-dessus sur l’univers de jeu se sont à ma lecture en partie révélées exactes. Le choix de partir des années 60-70 est un bon choix : il permet déjà de circonscrire ainsi le niveau technologique habituel, le type de société et donc l’ambiance du jeu. En termes de référence, ce choix permet également de se référer aux séries qui à l’époque étaient contemporaines. Un autre choix impactant l’ambiance du jeu est de décrire des lieux typiques du jeu : des villes réelles comme Paris, Tokyo ou New York mais aussi de créer de toute pièce des lieux ou pays imaginaires représentant un cliché. Comme la Syldavie et la Bordurie représentent les Balkans dans Tintin, le Sitomeyang est un condensé de l’Asie du Sud-est dans Troubleshooters qui permet de laisser une grande liberté de création au MJ. J’aime beaucoup cet artifice qui pour le coup est typique de la bédé franco-belge. Autre point positif à la lecture, le jeu est abondamment illustré et permet de relier le thème et le jeu. La création de personnage prévoit des archétypes comme agent secret ou coqueluche des médias. Certains sont bien reliés au genre, pour d’autres, c’est moins évident. Pour chaque personnage, le jeu propose une accroche scénaristique permettant de relier de nombreux scénarios au personnage. Par exemple, le personnage pourra avoir comme accroches Némésis : La Pieuvre (du nom d’une organisation de méchants) ou Ami influent.
Ca s’arrête à peu près là pour l’univers : quelques pays imaginaires, des dessins que les joueurs ne verront pas forcément et des accroches potentiellement répétitives, ce n’est pas suffisant pour moi pour caractériser un genre, un univers de jeu, une expérience ludique. Le système permet-il de pallier ce déficit ?
Ah, c’est du pourcentage ! A première vue, il n’y a rien de plus insipide que le pourcentage, on utilise Basic ou ses dérivés quand on veut faire la part belle à l’univers et avoir un système que tout le monde comprend et oublie. Donc, on ne voit pas trop comment ce système qui comprend uniquement des compétences exprimées en pourcentage pourrait favoriser une ambiance Bédé. Pourtant, les concepteurs du jeu ont fait de gros efforts pour apporter du Peps au système : les doubles sont des réussites critiques, les concessions narratives permettent d’obtenir des pips (les jets ratés mais dont les unités sont égales ou inférieures au nombre de pips obtenus impliquent un succès) ou des points de récit qu'on peut dépenser pour inverser les dés,… Le système incite à jouer les défauts de osn personnage, il rend possible les captures, la mort des personnages n’intervient pas que si le joueur le décide. Il y a donc une réelle adaptation au genre. Mais de mon point de vue de lecteur du système, cela reste superficiel : j’aurais aimé un peu de « procédural » ou de création partagée de la « série » pour approfondir l’expérience de jeu bédé.
Style
La catégorie « Bédé franco-belge des années 60-70 » englobe des œuvres très variées. Les tonalités peuvent être quand même très différentes par leur thème, leurs personnages, leur ambiance. Il y a certes des convergences et le choix du jeu de se restreindre aux séries à l’époque contemporaines donc se déroulant dans les années 60-70. Mais la dose de fantastique, de science, d’humour, ainsi que la géographie de chaque série varient fortement d’une série à l’autre. Or dans Troubleshooters, ces choix ne sont pas clairement exprimés ou choisis par le MJs et/ou les joueurs. Le style graphique peut également varier, celui de Krister Sundelin est certes plaisant mais il diffère quand même du style ligne clair traditionnel. Ces petites dissonances ou ces choix pas totalement assumés me laissent penser qu’un système plus coopératif, plus proche du pbta aurait peut-être mieux convenu et permis de rapprocher l’expérience de la vision que chacun se fait de la BD franco-belge ou des séries préférées de chacun.
Conclusion
A la fois très curieux et très sceptique avant d’ouvrir le jeu, j’ai eu un sentiment mitigé à la lecture. J’ai tout d’abord beaucoup apprécié la lecture : les illustrations, l’approche des personnages, les twists apportés à un système classique, les lieux imaginaires créés,… Je reste néanmoins un peu sur ma faim : pas de scénarios, l’impression que l’ambiance bédé ne sera pas totalement garantie, un système trop classique pour retranscrire l’ambiance… Je vais poursuivre par la lecture du scénario « Le Mystère de l’U-Boot» et par un test pour me faire une idée plus précise.
SUPPLEMENTS
Le Mystère de l’U-Boot est une mini-campagne basée d’une intrigue relativement simple : un sous-marin allemand s’est abîmé en Asie du Sud-Est contenant des secrets technologiques que les nazis voulaient livrer à leurs alliés japonais. La Pieuvre est sur la piste et les personnages vont se retrouver mêler à l’affaire par la disparition du journaliste Pierre Martin à Paris. Après une enquête dans la capitale française, ils vont poursuivre l’enquête à New York. Enfin l’aventure se terminera au Sitomeyang puis en mer sur le lieu où le sous-marin a coulé. La Pieuvre qui a une base sur place mettra des bâtons dans les roues des personnages à chaque étape de leur enquête.
J’ai apprécié l’intrigue pleine de rebondissements qui font vraiment Bédé et l’utilisation des archétypes pour introduire la campagne. L’ouvrage est également abondamment illustré et assez didactique avec des aides de jeu, des encarts sur les ennemis, des plans…
Néanmoins, comme pour le livre de base, je ne suis pas totalement convaincu. L’intrigue et la façon dont l’enquête se déploie me semblent parfois pas très claires et directes comme je l’imaginais que devait être une intrigue de Bédé franco-belge. Je ne suis pas sûr que les joueurs s’y retrouvent facilement dans cette histoire. Je surestime peut-être la complexité de l’intrigue vue des joueurs. En tout cas, après l’avoir lue, je n’ai pas particulièrement envie de maîtriser cette mini-campagne. Me reste à lire l’aventure d’introduction et tester le jeu afin de me faire un avis sur le jeu.