J'ai (re)lu : les chroniques des crépusculaires

Publié le par Arii Stef

Je relis rarement des romans : ca m'emmerde, l'effet d'immersion et de surprise n'est plus là à la relecture et je perds 75 % de mon plaisir de lecteur. Néanmoins, privilège de l'âge, je commence à oublier complètement ce que j'ai lu dans le passé et mon œil de lecteur s'est un peu exercé, me permettant parfois de voir les textes avec un œil neuf. Alors, je relis depuis quelques temps quelques auteurs emblématiques de la culture rôliste. Tout ça pour dire qu'étant tombé dans un rayon occasion sur les Chroniques des Crépusculaires en un seul volume (et à vil prix), j'ai décidé de relire ce classique de la fantasy française.

Mathieu Gaborit est un auteur né en 1972 bercé par le jeu de rôles. Son premier jeu « Ecryme » (1994) (écrit en collaboration avec Guillaume Vincent) et son premier roman « Bohème » qui a pour théâtre le même monde sont sortis presque concomitamment. « Les Chroniques du Crépusculaires » est son œuvre romanesque suivante, l'une des plus connues de l'auteur. L'univers du roman sera le cadre d'un jeu de rôles prolifique, Agone, dont la création et la rédaction seront l’œuvre d'un collectif d'auteurs dont Mathieu Gaborit lui-même.

L'univers du roman, l'Harmonde, est un univers médiéval fantastique « classique », classique dans le sens où l'on y trouve les ingrédients typiques du genre : royaumes querelleurs, races non-humaines issues du folklore européen, prédominance des humains, existence de la magie et des magiciens, différents cultes vénérant différents panthéons, structure féodale de la société, existence de grandes villes quelque peu anarchiques… Néanmoins, la patte particulière de l'auteur se fait sentir sur chacun de ces aspects : les races non-humaines, les saisonins, ont vraiment chacune leur saveur qui les éloigne assez des clichés, les magiciens domestiquent des petites créatures presque invisibles, les danseurs, pour produire leurs effets magiques, certains musiciens maîtrisent l'Accord permettant de contrôler l'esprit des gens, etc. On aime ou on aime pas, mais on ne peut nier l'originalité et le foisonnement des idées.

Pour se recentrer sur les « Chronique du Crépusculaire », il est paru à l'origine en trois livres, réunis dans l'opus que j'ai lu. Le personnage principal s'appelle Agone, il est le fils aîné du Baron de Rochronde mais il refuse de prendre la succession de son père après avoir rejoint un ordre, la Préceptorale », dédié à l'éducation des paysans et l’élévation des masses. Le livre 1 « le souffre jour » débute alors que le Baron est décédé et qu'Agone apprend les dispositions testamentaires de son père. Ce dernier accepte son refus d'endosser le titre si et seulement si Agone reste une semaine dans l'école du Souffre-jour. Ce premier livre est le récit de cette semaine au souffre-jour qui verra Agone apprendre l'Accord, se doter d'une rapière ayant une âme, se lier à une vieille fée noire et acquérir ses cheveux de couleur cendre.

Dans le second livre, les danseurs de Lorgol, Agone se réfugie dans la capitale du royaume Urguemand et y apprend la magie des danseurs. Il découvre un terrible complot contre l'organisation des magiciens, le Cryptogramme-magicien, et parvient très partiellement à l'éviter. A l'occasion de ce complot, deux royaumes voisins envahissent Urguemand.

Dans le troisième livre, Agone, le héros devient le leader de la résistance à l'envahisseur depuis sa baronnie de Rochronde. Il découvrira qui manipule cette invasion et tentera de les mettre hors d'état de nuire.

Ce qui me frappe en terme de narration à la relecture et qui ne m'avait pas paru évident lors de la première lecture, c'est à quel point l'influence du jeu de rôles est forte dans la construction du récit. En jeu de rôles, des obstacles, des éléments narratifs ou des personnages secondaires viennent s'opposer aux Pjs et parfois les Pjs échouent, choisissent de les éviter ou après confrontation de ne pas suivre une piste. J'ai l'impression à plusieurs reprises d'être dans cette situation : des éléments narratifs ou des personnages secondaires se confrontent à Agone et puis...pschiiit, on en entend plus parler ou on ne voit pas le sens dans la construction du héros ou de l'intrigue ! Ou encore, Agone échoue à cause d'un mauvais jet de dés.

Exemple : l'invasion de la baronnie de Rochronde par un tiers intervenant, les Provinces Liturgiques. Parenthèse à ce sujet, je dois dire que la présence dans tous les univers de fantasy d'une religion monothéiste intolérante calquée sur la religion chrétienne, c'est vraiment rabattu, cliché et presque horripilant. Parenthèse fermée. Certes, Agone perd son refuge et son amour contrariée dans l'aventure, mais bon, quel intérêt, quelles conséquences dans le récit ? On croirait entendre le MJ ricaner et dire : je vous ai bien eu avec mon tiers intervenant, votre idée de se réfugier dans les ruines liturgiques était vraiment foireuse ! Ce n'est vraiment pas le seul moment où je me suis dit, tiens « twist de MJ » ou "échec au jet de dés" ! Mais bon, 30 ans de pratique du jeu de rôle me déforment peut-être un peu. Autre point commun avec le jeu de rôle, on sent que nombreux aspects de l'univers ne sont pas abordés, que l'Harmonde est beaucoup plus vaste que ce que présentent les romans, c'est pour d'autres scénarios ou des suppléments à venir !

Pour changer de sujet, je retrouve plusieurs points communs avec d'autres œuvres de Gaborit. J'ai déjà évoqué l'originalité du monde et le foisonnement d'idées. On trouve dans les Chroniques Crépusculaires un thème commun notamment avec les Chroniques des Féals, l'idée du héros pré-destiné, aux capacités hors du commun mais qui doute de lui et dont la charge de sauver le monde est lourde à porter et a des conséquences néfastes sur son entourage. On trouve aussi cet intérêt pour présenter des organisations et des sociétés complexes, comme le Cryptogramme-magicien. On remarque cette attention au vocabulaire et à la création des noms. En revanche, l'accumulation de noms, de concepts et de vocables ampoulés m'avait excédé dans les Chroniques des Féals et dans le cycle des Ombres, c'est beaucoup plus fluide à mon goût dans les Chroniques des Crépusculaires.

Bon j'écris sur différents aspects du roman, mais il faut en venir à la question délicate : « mais finalement Stef, tu conseilles ou tu ne conseilles pas la lecture d'Agone ? Quel est ton avis ? » Je me souviens avoir beaucoup aimé le livre à sa lecture à la fin des années 90. J'ai pris beaucoup de plaisir à revenir dans l'univers et à relire le premier livre « Souffre-jour » : j'ai aimé la mise en place de l'univers, les tiraillements du héros, le récit, le style et les premiers signes du fantastique. Je dois dire que mon intérêt s'est ensuite un peu étiolé et j'ai même assez peu apprécié le dernier livre que j'ai trouvé un peu décousu et un peu fade. J'aurais beaucoup de difficultés à dire pourquoi et étayer un tant soit peu, mais voilà, j'ai été un peu déçu par ce retour aux Chroniques des Crépusculaires.

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article