J'ai testé pour vous : Libreté

Publié le par Arii Stef

Dans la chaleur estivale du sud ouest, survolés par de nombreux aéroplanes, lors d'une nuit d'éclipse, 6 vaillants rôlistes étaient réunis pour tester Libreté. Derrière l'écran, votre ari'i-nui avait potassé les règles et comme d'habitude en avait oublié la moitié. Léo rechigne, le pitch du jeu ne lui plaît pas, gamins et post-apo, ça ne va pas ensemble ! El presidente est venu avec son fils à peine plus vieux que les personnages du jeu, un cas de figure déconseillé par l'auteur. Pat à son habitude est toujours partant. Besticole a le regard narquois de celui qui va parler avec l'accent belge pendant toute la partie.

Plusieurs raisons m'ont conduit à tester ce jeu en ce chaud vendredi d'été. Tout d'abord, Sempaï l'animateur du podcast Open Jidérie m'en a dit beaucoup de bien ! Et il faut toujours écouter Sempaï, sinon il vous raye de la liste des invités des dîners CasusNO. Ensuite malgré ma boulimie ludique, j'étais toujours puceau de toute apocalypserie et bien que n'ayant absolument rien compris à la lecture d'Apocalypse World, il fallait que je tente l'expérience. Ensuite, Septembre approche et je dois encore choisir un jeu pour l'un des créneaux de campagne. Il s'agira d'un jeu que je maîtriserai en campagne pour 7 à 9 séances et j'avais mis Libreté dans les candidats potentiels.

Le pitch

Vous êtes des enfants ou des adolescents. Vous vous êtes perdus dans la grande ville, vide de toute présence d'adulte, battue par une pluie incessante qui génère des monstres. Ces monstres, les sirènes de l'averse, ont des formes très diverses mais possèdent un point commun, leur soif de sang d'enfant ! Vous êtes parvenus à leur échapper pour atteindre un refuge où vivent d'autres enfants. Ce refuge, c'est Libreté.

Libreté est un jeu de Vivien Féasson et se veut une suite de « Perdus sous la pluie ». Il s'appuie sur un système inspiré d'Apocalypse World : sur la base des principes énoncés ci-dessus et d'un questionnaire, ce sont les joueurs qui construisent leur Libreté, celui dans lequel leurs personnages vont évoluer.

Les personnages et les règles

Les personnages correspondent à des archétypes ayant chacun son action spéciale. Léo incarnera Gros Tom, la « brute », capable d'intimider les autres enfants par sa violence. Pat choisit le « solitaire » dont personne ne connaît le nom, toujours capable de dégoter quelque chose. Besticole prend la « victime », sur laquelle les autres se défoulent, mais Tige (c'est son nom) est vachement calé en comptabilité. El Presidente sera Dylan, le prince, entouré de sa cour et capable de séduire par son style et son bon goût. Le fiston sera la maman du groupe, Gwenaël au look androgyne, son pouvoir est de protéger sa famille, le reste du groupe.

Les joueurs lancent 2d6 pour des actions bien définies de leur personnage, les enfantillages (les fameux « moves » d'Apocalypse World) auquel on ajoute une mise en bile noire que les personnages accumulent quand ils sont frustrés ou confrontés au stress. Un résultat inférieur à 8 indique un échec, un résultat entre 8 et 10 une réussite, un résultat supérieur ou égal à 11, une réussite mais l'enfant va trop loin et un effet secondaire néfaste apparaît. Le MJ ne lance jamais les dés.

Le Libreté de cette partie

Une fois posé ce préalable, je vous livre la description du Libreté de nos 5 "enfants de R'lyeh" :

Libreté a été construite dans un hôtel de luxe. Elle est pas très grande, avec à peine 75 enfants pour l'habiter. Certains racontent qu'elle a été fondée par Berlin Hilton qui y aurait amené les premiers enfants dans sa limousine. Certains le vénèrent et l'appellent « la star », d'autres pensent que c'est juste le chauffeur. Pour empêcher les sirènes d'entrer par les portes, tous les accès sont condamnés à l'aide de meubles de récupération. Seul un accès bien caché permet d'entrer et de sortir de Libreté.

Il reste bien sûr le problème de l'eau dans la ville qui pourrait donner naissance aux monstres. Mais l'eau n'est autorisée que par un goutte à goutte surveillé par les cuistots.

L'enclave es tdirigée par Triple Foyer et sa bande, les geeks, depuis le PC sécurité de l'hôtel, d'où ils peuvent surveiller l'établissement et actionner les portes. Mais d'autres groupes rivaux existent :

- Les Bogoces (ou inutiles pour les autres groupes), la bande des personnages dirigé par Michaël Jackson ; la bande contrôle la boîte de nuitet organise périodiquement des boums.

- Les Responsables ou chieurs, dirigés par Basile, avec sa raie sur le côté, ils portent des habits de la SIAP dont il plie manche et chasse. Ils s'occupent de renforcer les protections et de toutes les tâches de protection de Libreté.

- Les tauliers ou cuistots occupent la cuisine centrale et sont en charge des repas et de l'eau. La bande est dirigé par Maïté, l'adipeuse chef de bande, spécialiste des petits fours.

- Les biatches, dirigées par Cindy, animent les soirées et s'occupent des coupes de cheveux et du maquillage. Huguette est la petite victime de la bande.

La ville ne manque pas de ressources et nous avons beaucoup de draps, d'eau et de couchages. Certaines choses essentielles manquent bien sûr comme le fuel ou de la nourriture variée. Pour s'en procurer, des expéditions sont organisées dans les Terres Humides. Les chieurs décident de qui est « en forme » pour les constituer et ça tombe souvent sur les bogoces.

Régulièrement de nouveaux enfants arrivent à Libreté. Ils ont traversé les Terres Humides au péril de leur vie. Lorsqu'ils arrivent, ils sont reçus par le Conseil des Parents, un groupe d'enfants plus matures (dont Gwenaël) qui les affecte dans les différentes bandes.

La fiction

Après cette étape, l'idée est que chacun décrive le quotidien de son personnage et que je rebondisse sur ces descriptions pour démarrer la fiction. Il n'y a aucun scénario, mais le livre de base est parsemé d'idées dans lesquels je vais piocher pour alimenter la partie.

Lors de l'habituel boum des Bogoces, une embrouille naît entre Geeks et Chieurs d'une part et Bogoces et Biatches de l'autre. Dylan a incité Cindy à se moquer de Triple Foyer et celui-ci a peu apprécié. Surtout après que Bidule ait terrassé son garde du corps, le Maori. Bogoces, biatches et une partie des cuistots se retrouvent enfermés dans la boîte de nuit et le lendemain matin, ce sont les personnages, Maité et Cindy qui sont désignés pour une expéditions dans les terres humides.

On les envoie au plus loin, au supermarché que personne n'a encore atteint au bout de la grande rue. Alors que les personnages quittent Libreté, Gros Tom et Dylan empoigne Basile, le chef des chieurs, pour l'obliger à les accompagner. Ils empruntent la grande rue battue par la pluie quand ils entendent un vrombissement : une nuée de sirènes insectoïdes affamées. Les enfants courent vers le supermarché et s'y réfugient. Mais Tige a perdu sa calculatrice fétiche sur le chemin. Gwenaël a été obligé de pousser Cindy vers les sirènes pour s'en sortir. La chef des biatches est disséquée par les insectes rouges. Les enfants font le plein dans un caddy mais quitte le supermarché précipitamment quand ils se rendent compte qu'une sirène loge dans la réserve et tente de les attirer avec des gâteaux. Tige insiste pour retrouver sa calculatrice. Il se perd dans les bâtiments et tombe sur un adulte qui tient la calculatrice dans la main. Il dit s'appeler Joe et semble amical, mais les enfants sont extrêmement méfiants. Du fait du retour des insectes, ils sont obligés de l'emmener à Libreté où il fait sensation.

Triple Foyer a réuni les enfants dans le hall de l'hôtel. Les bogoces ne sont pas invités mais la plupart d'entre eux s'y imposent. Trois événements rythment la soirée dans le hall. Les enfants écoutent l'adulte jouer de la guitare et raconter comment il est arrivé à Libreté. Il dit être de sang indien et être arrivé là par le monde des esprits. Il affirme pouvoir ramener 4 enfants dans le monde réel. Dylan est désigné volontaire. Triple Foyer prévoit ensuite de juger Gwenaël dénoncé par Basile, mais Joe l'indien s'y oppose et le prend parmi les 4 enfants qu' il va sauver. Les biatches font ensuite un défilé de mode pour élire leur nouvelle chef, Dylan s'impose comme Président du jury. Mélody est élue. De son côté, Bidule s'introduit dans le PC sécurité et ceux-ci lui proposent de rejoindre leur bande.

Le lendemain, les personnages accompagnent Joe dans les terres humides. Il se rend dans un parc où une étrange cabane fume au pied d'une statue. La statue se révèle être une sirène de l'averse auquel Joe s'adresse, lui priant de s'emparer de ses cadeaux. Les enfants s'enfuient vers Libreté mais Dylan est attrapé, démembré et dévoré par la Sirène.

Mon sentiment

Pour le verdict du test, je parlerai bien sûr principalement en mon nom. Je commencerai comme de juste par l'univers. La particularité de Libreté provient du fait que l'univers est une combinaison de lignes directrices et d'une construction collaborative des joueurs. Si on parle d'univers, il faut donc évoquer ce système de construction de Libreté par le questionnaire et les outils fournis. Mon sentiment est que ce questionnaire et la phase de construction est un gros point fort du jeu . Il doit permettre de construire des Libreté assez différents les uns des autres. Les thèmes de la société d'enfants, des terres humides, du refuge et des monstres sont suffisamment évocateurs et riches tout en laissant une bonne liberté à l'imagination. Néanmoins, c'est plutôt côté MJ que c'est un peu galère je trouve sur un one-shot, j'ai dû tout de suite piocher dans les amorces d'intrigue présentées dans le livre de base (l'adulte à moitié indien). A contrario, l'univers me semble un peu étriqué pour lancer une campagne dans le format du club (sur 7 à 9 séances). 2 à 4 séances me semblent un grand maximum, mais je me trompe peut-être !

Concernant le système de jeu, c'était comme je l'ai dit ma première expérience d'un pbta (powered by the apocalypse), à la nuance près que Libreté a quelques différences avec l'apocalypse. Tout d'abord, on ne lance pas 2D6 + caractéristique mais 2D6 plus une mise de Bile Noire. Je n'avais à priori pas bien compris la règle sur la Bile Noire et je l'ai fait dépenser même en cas d'échec. Les joueurs ont été rapidement à court. Difficile donc de juger de la pertinence de la règle en l'ayant dévoyé ! Autre différence, le 11+ n'est pas une réussite parfaite mais une réussite excessive avec des conséquences pouvant être néfastes. J'ai vraiment adoré cette règle qui a produit beaucoup de situations intéressantes en jeu (la perte de la calcultrice par exemple). Si on revient à ce qui fait le coeur de l'Apocalypse : le système de « Moves » ici rebaptisés « Enfantillages » et le fait que le MJ ne lance pas les dés, j'ai trouvé que c'était assez fluide mais parfois quelque peu artificiel. Un exemple, la victime du groupe a voulu séduire la victime des biatches, la règle dit que c'est impossible, la séduction étant un enfantillage réservé à l'archétype de la princesse. Dernier point important de l'Apocalypse, un certain partage de narration sur la description des résultats de l'enfantillage, c'est une mécanique à laquelle je suis plus habitué avec mes expériences sur Oltréé, Mouseguard ou Cold City.

Concernant la fiction, puisqu'il n'y a pas de scénario, j'ai dit déjà dit qu'il était difficile d'improviser en one-shot. En effet, le jeu prévoit qu'après une première séance de construction et d'introduction centrée sur le quotidien des personnages, le maître de jeu prépare des « fronts », appelés ici « nuées », sur la base des idées des joueurs et du Libreté construit collaborativement. Ces fronts sont des problèmes qui peuvent dégénerer. Ils alimentent l'improvisation du MJ en événements auxquels sont confrontés les personnages. J'ai néanmoins bien apprécié la séance, je pense qu'elle a été suffisamment riche pour la rendre intéressante pour les joueurs, mais c'est à eux de le dire !

En conclusion, j'ai vraiment apprécié et le jeu et la séance. Les personnages sont tout de suite bien campés, la construction de Libreté a été assez fluide et la fiction plutôt rythmée. Il me semble néanmoins qu'on atteindrait assez vite les limites du jeu en quelques séances en termes de variété de situation et de découverte. Je ne le retiendrai donc pas comme jeu de campagne pour la saison 2018-2019, j'en fais néanmoins un candidat sérieux pour de futurs one-shots ou comme jeu d'été sur 2 à 3 séances.

 

Quelques liens :

Le site de l'auteur

Une interview de l'auteur

Le podcast d'Open Jidérie sur Libreté (où l'on retrouve une ex et j'imagine future membre du club

 

Le retour d'El presidente :

C'était pour moi aussi une première expérience de pbta, même si le concept de "co-construction" du setting initial, ou tout au moins du groupe n'est pas vraiment révolutionnaire. Il est néanmoins bien arrangé dans Libreté, avec un questionnaire propice à créer un micro-univers attrayant dans lequel on ne peine pas à s'immerger. Je ne suis en revanche pas fan des systèmes à archétypes, et celui-là n'échappe pas à la règle. D'abord parce que ce système qui consiste à conférer un pouvoir unique à chaque archétype entraîne des limitations absurdes dans le jeu (l'exemple repris dans l'article est une illustration parfaite), ensuite parce que cela stéréotype les interprétations chez certains, tandis que d'autres s'écartent rapidement de leur archétype, vidant le concept de son sens. Par exemple, dans notre partie, l'archétype Papa/Maman a passé son temps à se clasher, à jeter les camarades aux sirènes, ou à balancer des horreurs, tandis que le Solitaire a des le début nourri, soigné, défendu et protégé son monde. 
Proposer des exemples de personnages, plutôt que des archétypes ultra bateau, donnerait plus de liberté d'interprétation, tout en conservant une cohérence (le système de création des Lames du Cardinal, par exemple, propose par ses combinaisons un vivier énorme de concepts qui se construisent simplement).
En ce qui concerne le système de règles, je trouve la proposition un peu punitive, partant du principe que seuls 3 résultats sur les 12 correspondent à une réussite, et que les jets interviennent très vite. Malgré tout, cela maintient la tension à un bon niveau, et encourage à chercher des solutions qui ne nécessitent pas de jet.

Finalement, avec des ressorts narratifs simples, on peut passer une excellente soirée, à condition d'arriver à se mettre dans la peau de gosses (je ne suis pas sûr que de ce côté là, nous ayons vraiment rempli notre part du contrat). Je ne pense pas qu'une campagne ait grand intérêt, mais le format proposé par Arii Stef, 2-4 séances me semble tout à fait jouable.

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