Ecryme : la campagne officielle
Je vais m’attacher à vous décrire la campagne officielle d’Ecryme sans divulguer les secrets qui sont en son cœur, ce qui peut se révéler compliqué par moment. En premier lieu, sachez qu’on ne dit pas « campagne » à Ecryme mais « geste » et qu’il serait vraiment malheureux de dire « scénario » alors qu’existe le mot « ballade » (à ne pas confondre avec une Balade qui est une petite errance). La boîte de base fournit la première ballade de la geste ainsi que ses secrets. Les suppléments III « La Balade d'un Troubadour Muet » et IV « du Sang dans les canaux de Venice » complètent la Geste. Je maîtrise actuellement cette geste dans le club de Blagnac. Vous pouvez en suivre le déroulé ici.
Le livret « Effluves d’Ecryme » de la boîte de base contient la présentation de la campagne. Les origines et les motivations des protagonistes des personnages joueurs, ainsi que l’implication de ces derniers sont d’abord détaillés. Les auteurs débutent par les secrets de la campagne et cela me convient bien. Ensuite vient la première ballade, dénommée très bizarrement « Hodologie à rebours » . Elle démarre dans un train et pas n’importe lequel : le Transécryme, un train luxueux qui relie Eole à Saint Petersbourg. La description du train, la vie à bord et ses péripéties permet de donner au meneur de jeu les armes pour faire vivre et peupler cet environnement. Elle constitue la première « trame » de la ballade. Ensuite, sont fournies pas moins de 5 autres intrigues (dont 1 optionnelle), les autres « trames », qui s’entrecroisent et forment le cœur du scénario. La deuxième trame présentent des flashbacks que revivent les personnages des joueurs. En effet, ils sont fortement impliqués dans la geste, bien qu’au départ, ils le soient de manière inconsciente. Ces flashbacks permettent de relier les fils entre le passé des personnages et l’intrigue et sur leur raison d’être présents dans le Transécryme. Ils peuvent être joués comme des mini-scénarios ; les joueurs dont le personnage n’est pas concerné y incarnent des figurants. La troisième et la quatrième trame décrivent les éléments liés à l’élément principal du scénario, un complot du Lys Noir. La cinquième trame présente des éléments surnaturels et des attitudes étranges qui frappent les voyageurs et qui sont reliés à l’intrigue globale de la geste. La sixième trame est une affaire de vol sans lien avec l’intrigue principale et justement indiquée comme optionnelle.
Ce premier scénario est donc touffu avec beaucoup d’éléments qui s’entrecroisent. Je le trouve un peu intimidant à mettre en scène : beaucoup de personnages différents, des implications à long terme sur des PNJs majeurs,… J’ai aussi une appréhension par rapport à cette complexité : que les joueurs n’y comprennent rien et laissent un peu tomber l’espoir de comprendre pour se laisser guider par le scénario. En revanche, je trouve assez astucieux la mise en scène des flashbacks ; cela permet de commencer la campagne avec des personnages au développement minimal, les flashbacks faisant office de description des antécédents.

La suite de la geste est livrée dans « La Balade du Troubadour Muet ». Ce supplément comprend 4 ballades et reprend l’intrigue là où la boîte de base l’avait laissé : sur le Transécryme. Dans la première ballade « Escale à Sableryne », celui-ci se trouve à l’arrêt pour des réparations dans la seigneurie traversière de Sableryne. Les personnages sont sensés y rechercher les ravisseurs d’un des PNJs de la première ballade. Pour cela, ils vont devoir s’immerger dans la politique et les secrets de la seigneurie et de ses habitants. Noblesse locale, prêtrise de l’aragone et marchands : le tableau est riche mais nul PNJ à mon sens ne fait tapisserie. L’ambiance est tissée par des secrets bien lourds et une relation ambigüe des locaux avec le progrès et son représentant, le Transécryme. Il y a une scène finale où les PJs retrouvent la personne enlevée, elle me semble très compliquée à mettre en scène sans qu’elle ne débouche sur un carnage.
La ballade suivante se nomme « Au-delà des rêves » et comme son nom l’indique, elle se situe dans un monde onirique. Les personnages se trouve dans une jonction étrange qui semble se déliter. Les personnages ne se souviennent plus comment ils sont arrivés là et doivent à nouveau retrouver la personne enlevée dans les épisodes précédents. Je suis généralement assez circonspect sur l’utilisation des rêves en général en jeu de rôle : un artifice facile pour passer des informations, hyper casse-gueule pour y jouer vraiment. Je trouve que c’est un artifice facile. Dans ce cas, ça a l’air bien foutu, suffisamment normal pour que les personnages aient envie de dénouer l’intrigue et suffisamment étrange pour apporter du piquant.
Les deux ballades suivantes se situent à la première étape du Transécryme, Méandre, le faubourg de la cité de Venice. Dans la première ballade, “Le pas chaloupé du Métronome”, les personnages vont être aux trousses d’un tueur en série et dans la seconde ballade, “le retour de l’équarisseur”, ils se retrouvent confrontés à ce qui semble être un copycat du premier tueur. On est dans une enquête typique avec introduction d’éléments surnaturels. Comme il y en a eu des quantités avant, les joueurs ne devraient pas être trop déstabilisés par cela.

L’épilogue de la Geste est fourni dans le supplément « Du Sang dans les canaux de Venice ». La structure de cette partie de la Geste est très différente de « La Balade du Troubadour Muet ». En effet, on passe d’un huis-clos dans un train avec une structure temporelle définie à un énorme bac-à-sable où s’entrecroisent différentes trames. L’ambition est de confronter les personnages à rien moins que le déroulement d’une révolution. Ils vivent voire participent aux différents événements historiques tout en poursuivant les intrigues initiées dans les ballades précédentes.
La cité de Venice est un peu particulière, ce n’est même pas une cité à proprement parler mais une jonction de cinq traverses. La cité se développe comme lieu de commerce et autour de ses mines, l’écryme y est peu profonde. La cité attire les marginaux de toutes les cités, et elle devient le berceau des arts et de la phono-édition. Après son occupation par le Lansk, elle redevient indépendante et neutre accueillant les tractations diplomatiques des autres nations. La cité est dirigée par 4 doges (un par Art) et une « Artistocratie » élue au travers de concours artistiques qui ont lieu annuellement lors du carnaval. Leur pouvoir est contrebalancé par les Antiquaires qui disposent du monopole de la distribution et de la diffusion des œuvres artistiques. La ville attire de nombreux touristes de la Toile, notamment lors du carnaval.
La révolution qui va avoir lieu entend libérer l’art. Les révolutionnaires contestent la désignation de l’Artistocratie et le monopole des Antiquaires. Elle va diviser profondément la cité et la plonger dans la violence.
Les personnages débarquent du Transécryme à Méandre, une « banlieue » de Venice où se déroulent les deux scénarios finaux de "la Balade d’un Troubadour muet". Le fil rouge de leur séjour à Venice prévoit qu’au détour d’une enquête, les personnages se retrouvent invités à loger puis à participer à la gestion d’un hôpital psychiatrique, le Panoptique. Une des trames pourra donc être de faire vivre l’établissement dans une période troublée où il n’est la priorité d’aucune faction, les obligeant à se mêler de politique. Les bizarreries de certains malade en constituent une autre.
Par ailleurs, ils vont poursuivre l’enquête concernant les raisons qui les ont rassemblés dans le Transécryme et des événements qui s’y sont produits. Les personnages principaux qu’ils ont rencontrés dans le Transécryme auront également leur propre destin qu’ils pourront tenter de modifier.
Enfin, la Révolution en elle-même, l’affrontement des factions et les événements sanglants et étranges qui vont la marquer forment une trame à part entière de l’intrigue.
L’ambiance emprunte de plusieurs sources: de la révolution française avec son lot d’horreurs et de combats, du style « Gaboritien » avec ses factions étranges et détournées comme les « Art-Bitres » et du fantastique, associé aux secrets du jeu.
La pléthore d’événements, de personnages et d’intrigues sous-jacentes font du « sang dans les canaux de Venice » un bac à sable riche, peut-être trop riche. On trouve dans le supplément une galerie de personnages et de factions très différents. Mais, paradoxalement, à mon avis, il y en a trop et les principaux auraient mérité plus de détails en termes d’agenda et d’interactions potentielles avec les personnages des joueurs. J’ai peur également que l’accroche principale prévue dans le bac-à-sable, l’attachement au Panoptique, ne séduise pas beaucoup de joueurs. Loger dans un hôpital psychiatrique franchement, il y a plus glamour quand on est dans la Cité des Arts. Or, les autres possibilités de liens entre les personnages et la cité des Doges ne sont pas vraiment développées. On n’échappe pas à la contradiction de nombreux bacs à sable ou campagnes du marché : tu es sensé être libre sur le choix des personnages et des parcours, mais finalement, seule une accroche scénaristique est pensée et décrite, souvent celle qui s’est imposée un peu par hasard quand l’auteur a fait jouer ses joueurs.
La Geste ne prendra toute sa saveur que si les personnages sont d’une manière ou d’une autre impliqués dans les événements de la Révolution ou qu’ils doivent protéger des proches visés par une faction ou une autre. Pour un MJ expérimenté néanmoins, la cité et les enjeux de la révolution sont suffisamment détaillés pour permettre de créer des accroches scénaristiques individuelles et collectives.
Cette fin de geste est extrêmement ambitieuse et je pense complexe à mettre en œuvre, complexe du fait de la quantité de matière à intégrer et à mettre en musique, complexe à permettre aux joueurs de voir clair dans ce qui relie leur personnage aux trames et complexe par son absence de structure définie. Par expérience, je pense que ces campagnes ouvertes sont les plus intéressantes à mener mais aussi les plus casse-gueule. Reste à la faire jouer pour confirmer ou infirmer ces impressions de lecture, d’ici deux ans certainement !