J'ai lu et testé Tales from the Loop

Publié le par Arii Stef

 

"Tales from the Loop" : qu'est-ce donc que ce jeu ?

Tales from the Loop est un jeu de rôles où l’on incarne des enfants entre 11 et 15 ans dans les années 80. Ils vivent près d’un centre de recherche où il se passe des choses étranges que les adultes ne semblent pas remarquer. Les années 80 de TftL sont légèrement uchroniques, elles diffèrent de nos années 80 par le développement de technologies étranges : il arrive d’y croiser des robots ou des machines volantes… mais sinon tout est identique : les postes cassettes, les Amstrad, les premiers jeux vidéo, etc… On pense forcément à la série Stranger Things et aux films de l’époque comme E.T. ou les Goonies. Ce sont des références assumées.

Le jeu nous vient de Suède, il est produit par les mêmes auteurs que Mutant Year Zero et le même éditeur que Symbaroum. Particularité de la création du jeu selon ses auteurs : il a été développé à partir des magnifiques illustrations de Simon Stålenhag qui ont donc servi de sources d’inspiration au jeu (et non l’inverse). Sinon, pourquoi préciser que le jeu est suédois ? Tout d’abord parce que le cadre proposé dans le livre de base se déroule en Suède et que dans un jeu qui peut solliciter la nostalgie de la propre enfance des joueurs, la Suède, cela peut sembler un peu éloigné. Ensuite parce que le système à base de D6 est proche des autres créations de cet éditeur.

Ce jeu a beaucoup fait parler de lui à sa sortie pour deux raisons : ses illustrations et sa concomitance avec le succès de la série « Stranger Things ». Le financement participatif pour sa traduction en français en 2017 a été un succès avec 56 000 € récoltés par l’éditeur Arkhane Asylum. Le jeu a connu une version dans la langue de Donald Trump incluant une adaptation du setting aux USA. La version française se situe en Suède mais inclut de façon alternative la version américaine. Le financement participatif a permis outre l’écran de sortir le supplément « Nos amis les Machines » et surtout un cadre français « La France des années 80 ». Ce supplément  décrit la ville imaginaire d’Auroreville située à proximité de la frontière helvétique et d’un accélérateur de particules partagé entre la France et la Suisse. Toute ressemblance avec le CERN est fortuite, bien sûr.

Circonstances des tests

Le jeu avait attiré mon attention mais sans non plus déchaîner une envie irrésistible d’achat. J’ai pu effectuer une partie comme joueur avec un heureux souscripteur du financement participatif. Malgré l’ambiance un peu particulière de cette partie, le jeu m’a beaucoup plu et j’en ai fait l’acquisition. Il se lit très vite et j’ai pu dans la foulée le tester comme MJ à l’une des soirées one-shot de mon club. Je dissocie habituellement mes impressions de lecture et de jeu ; compte-tenu de ce parcours, je mélangerai ici mes retours de lecture et de test de chaque côté de l’écran.

Les livres

Les livres sont de bien beaux objets : les illustrations de Stålenhag sont certes inspirantes mais j’ai également beaucoup aimé la mise en page, le livre tout en couleur et les textes.

Le livre de base contient les règles et présente le cadre des îles Malar dans la grande banlieue de Stockholm. Le cadre de Boulder City au Nevada n’étant semble-t ’il qu’une transposition, les différences (nom de lieux et de PNJs) sont annotées entre parenthèses et dans une couleur différente. Mais finalement, le cadre de jeu, les années 80, est plutôt évoqué que décrit : quelques anecdotes, des listes de tubes ou de films, deux trois explications sur le loop, et basta… Pour ce qui du fantastique, de sa nature et de sa forme, on en trouvera un peu plus dans les scénarios, mais concernant les années 80, le livre semble destiné à des lecteurs et futurs MJ les ayant vécues. J’y reviendrai par la suite mais ce choix me semble au final assez étrange et nuisible.

Le livre de base comprend également une mini campagne formée de 4 scénarios (un par saison). N’attendez pas un subtil crescendo du fantastique, c’est wtf tout de suite avec notamment des pigeons qui parlent. J’ai lu de mauvaises critiques sur ces scénarios, mais à la lecture, je les trouve pas mal notamment par leur exploration de thèmes différents du jeu.

Les suppléments

L’écran est joli et c’est un écran. Comme je m’en sers peu à part comme élément d’ambiance.

« Nos amis les machines » contient un chapitre sur la technologie uchronique (les robots, les véhicules, etc…) et surtout de nouveaux « mystères ». Je les ai parcourus et ils m’ont semblé dans la droite lignée de ceux du livre de base : bien mais pas transcendants.

« La France des années 80 » est une vraie réussite avec sa description d’Auroreville (bien plus fouillée que celle des îles Malar), de nouveaux archétypes (comme le rôliste) et ces scénarios qui me semblent encore de meilleure facture que ceux du livre de base. C’est le cadre de mes deux parties test, j’ai également à chaque fois utilisé le mystère « Tainted Love » que j’ai trouvé très inspirant avec un fantastique qui arrive progressivement et d’une façon très surprenante. Difficile d’en dire plus sans divulgâcher, mais j’aime vraiment beaucoup ce mystère. Seul petit reproche au supplément : personne ne s'appelle Mehdi, Mokhtar ou Farida, comme dans la vraie vie en France !

Le plat de résistance du supplément « Hors du temps » est une petite campagne composée de 3 mystères précédés par une présentation globale de l’intrigue. Le thème de cette campagne est le voyage dans le temps. C’est un thème ultra casse-gueule en jeu de rôle du fait des paradoxes temporels. D’ailleurs, j’ai eu beaucoup de difficultés à la lecture du chapitre préliminaire à comprendre l’intrigue et surtout les liens temporels présentant la campagne. Cependant, au travers des mystères, c’est devenu assez limpide et je pense parfaitement jouable.  J’ai beaucoup aimé cette campagne qui parvient à traiter un sujet périlleux et complexe avec la simplicité à hauteur d’enfant réclamée par le thème du jeu. 
Le supplément contient aussi un mystère complet et par des mini-mystères. 

 

La mécanique de jeu

Parlons un peu mécanique ! Tales from the Loop est un jeu traditionnel avec un MJ et des joueurs. Il y a une petite part de construction coopérative du cadre et du background des personnages mais cela reste limité. En revanche, le déroulement de l’histoire et la fiction obéissent à des règles précises qui font une part de l’originalité du jeu. Pour citer les plus marquantes : les adultes ne peuvent pas aider les enfants, les enfants ne peuvent pas mourir, le danger ne peut atteindre les enfants dans leur refuge. Il est également demandé au MJ de jouer les scènes in media res sans s’attarder sur les transitions. Autre point marquant : le MJ ne lance pas de dés, c’est le privilège des joueurs (seuls les enfants sont importants). Les scénarios appelés « mystères » reposent sur un canevas récurrent rappelant les épisodes d’une série. Cela donne un jeu assez rythmé avec des parties courtes et un « contrat social » assez clair même s'il n'est pas explicite.

La création de personnages a été mon moment préféré de la partie de test comme joueur. C’est simple et surtout l’occasion de tisser des liens entre son personnage et ceux des autres. La partie mécanique prend très peu de temps, ensuite sur la base de profils, le joueur développe les spécificités de son personnage : l’adulte en lequel il a confiance, son objet fétiche, sa peur et son objectif. Ensuite, des possibilités de lien sont proposées (exemple : « je suis secrètement amoureux d’elle ») et il en choisit un pour chaque autre personnage joueur. Ca a été assez vite et ça a nourri la moitié des dialogues de la partie test. Quand j’ai été MJ, ça a été un peu plus poussif (les mêmes propositions de lien revenaient trop souvent) et les joueurs se sont moins appropriés ces liens. Cela a constitué néanmoins un bon moteur de jeu et de dialogue pendant la partie.

Le système de résolution est assez simple : le joueur lance autant de D6 que la somme d’une compétence et d’un attribut. S’il obtient au moins un 6, c’est un succès. J’ai lu ici ou là des critiques sur le fait que ce système amène un taux d’échec important. Déjà, ce n’est pas vérifié statistiquement. Ce que j’ai ressenti, c’est une grande volatilité dans les résultats des jets et donc une dépendance forte vis-à-vis du hasard. Le système tourne et a l’avantage d’être simple.

Le rapport à la nostalgie

Une bonne part des rôlistes a découvert le jeu de rôle dans les années 80 et avait donc le même âge que les personnages à l’époque du jeu : un boulevard pour la nostalgie ! Et c’est vraiment ce qui s’est passé dans la première partie où j’étais joueur : longues digressions sur les souvenirs de chacun des joueurs, débat sur les ordinateurs, les jeux ou les musiques de l’époque, pinaillages chronologiques… J’ai plongé goulûment dans cette ambiance de vieux cons parlant la larme à l’œil de leurs souvenirs d’enfance. C’est pitoyable mais c’est bon.

La partie que j’ai maîtrisée n’a pas connu du tout la même ambiance. C’était une soirée one-shot au cours de laquelle les joueurs s’inscrivent après de courtes descriptions des jeux. Je me suis retrouvé avec 4 joueurs sur 5 n’ayant pas connu les années 80, certains avaient du mal à imaginer qu’un ordinateur ne puisse pas servir à faire une recherche (sur internet). Exit donc la nostalgie, on s’est concentré sur l’altérité de l’époque, le scénario et les relations entre personnages. Sans cet élément, le jeu fonctionne très bien quand même. 

Questions de rôlistes

A l’aune de ces deux expériences et de la lecture du jeu, je vais essayer de répondre à quelques questions que je me suis moi-même posées ou que l’on m’a posées.

Jouer un enfant : est-ce intéressant ?

C’est un truc sur lequel j’étais assez sceptique. J’ai bien maîtrisé une partie de Libreté mais c’est un univers très particulier. Les enfants, cela n’a pas beaucoup d’histoire, peu de capacités spéciales, des interactions limitées… et dans TftL, on joue des enfants (presque) normaux ! Finalement, j’ai vraiment apprécié l’expérience comme joueur  et pourtant je suis un joueur assez difficile. Je pense que le plaisir que j’ai pris vient de deux points importants : d’abord, l’établissement des relations entre PJs lors de la création de personnage et l’archétype constituent un vrai générateur de rôles entre PJs et permet de bien différencier les personnages ; ensuite, les limitations subies par les enfants, en termes de déplacement, d’accès à l’argent, de relations avec l’école, les parents, sont vraiment des limitations qui orientent les possibilités et présentent un réel intérêt en jeu.

Les années 80 : un bon cadre de jeu ?

J’ai déjà évoqué le puissant levier de nostalgie que cette époque engendre pour le rôliste quarantenaire. C’est aussi une période différente de la nôtre par bien des aspects : l’absence d’internet, les prémices de la culture geek, le rideau de fer et l’opposition est / ouest, la Renault Fuego, le risque nucléaire… Cette altérité me semble suffisante pour faire un cadre plaisant à jouer.

Faut-il être un quarantenaire pour jouer à ce jeu ?

Comme indiqué à la question précédente et dans mon expérience de maîtrise avec des moins de 40 ans, je pense qu’il n’est pas nécessaire d’être quarantenaire pour y jouer. Mais la question se pose pour le maîtriser. En effet, les informations du livre de base me semblent insuffisantes pour que mon fils puisse maîtriser le jeu. Certainement pas besoin d’un équivalent du Guide des années 20 de l’Appel de Cthulhu v6 mais un peu plus de contenu aurait été le bienvenu. La France des années 80 est un peu plus riche en informations mais reste à mon avis trop superficiel pour quelqu’un qui n’a pas connu l’époque. Certes, cette dernière est explorée dans nombre de fictions mais on a vraiment l’impression que le jeu est conçu pour être maîtrisé par un quarantenaire (ou plus).

Suède, France, Etats unis ?

Le cadre original du jeu est la Suède qui apporte une petite touche d’exotisme, les Etats-Unis ont l’avantage d’être familiers par les fictions dont TftL s’inspire et la France nous est plus familière. Alors quel cadre choisir pour sa partie ?  Pour moi, c’est sans hésiter : la France ! Tout d’abord, le cadre est beaucoup mieux décrit grâce au supplément « la France des Années 80 ». Ensuite, comme les informations sur le cadre et les années 80 étant assez parcellaires dans le jeu, il sera beaucoup plus aisé de développer un environnement crédible avec la France. Enfin, cela me permet de faire vibrer la corde nostalgique du jeu.

Quel type de fantastique ?

J’ai lu quelques débats sur la nature du fantastique dans TftL : fantastique, science-fiction ou horreur ?  L’originalité du jeu est de ne pas vraiment trancher ! Il y a des règles du jeu comme l’impossibilité qu’un enfant meurt qui penche plutôt vers l’étrange et le merveilleux que vers l’horreur. Mais certains mystères ont des scènes assez durs. La nature même du Loop n’est finalement pas explicitée mais des éléments de technologie le sont : robot, véhicules volants, … Les mystères partent dans différentes directions : accès à d’autres dimensions, androïdes, manipulation génétique, dinosaures… Il y en a pour tous les goûts. Finalement, je ne pense pas que ce soit vraiment un sujet, le pitch du jeu repose sur le fait qu’il y a des trucs bizarres qui se passent et que les enfants ne peuvent pas compter sur les adultes pour résoudre les mystères. Au fond, il est surtout important que la nature du bizarre plaise à vos joueurs !

Conclusion

Vous l’aurez compris, j’ai aimé ce jeu et je le recommande vivement. Néanmoins, il n’est pas exempt de défauts comme une description lacunaire de l’univers ou un manque de variété dans les exemples de relation entre PJs. Il faut également mettre en avant que les parties sont prévues pour être plutôt courtes et que le format « formaté » des scénarios doit certainement amener une certaine répétition. Le jeu est donc potentiellement lassant en campagne. Je le vois bien comme jeu de one-shots ou jeu de l’été sur 4-5 séances. En ce qui me concerne, c’est un jeu que je ferai jouer en convention ou en soirée one-shot. Enfourchons notre bicross, mettons notre radiocassette à piles dans le sac à dos et partons pour les années 80 !

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S
Bonjour,<br /> <br /> Merci pour votre retour.<br /> En ce qui concerne tainted love, combien de temps a duré pour le scénario pour vous (en plus de la création de personnages) ?
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A
Je l'ai mené plusieurs fois. Le scénario a duré entre 2 et 3,5 heures selon les groupes.