J'ai lu : Les Oubliés

Publié le par Arii Stef

Les Oubliés est un jeu de rôles français paru en 2019 chez les XII Singes. Les joueurs y incarnent des créatures de 5 à 10 centimètres de haut, des êtres du Petit Peuple, appelés dans le jeu « Enfants des Songes ». Ils vivent dans une ville de Géants (les êtres humains), mais ce n’est pas leur monde d’origine. Ils viennent d’un royaume féérique, Edenia, qui a été envahi par les forces du Cauchemar, les obligeant à le quitter et à se réfugier en Terra Incognita, le monde des grands. En l’occurrence, ils sont parvenus dans une ville du Sud de la France en plein pendant la période des Guerres de Religions.

Ce monde n’est pas du tout à leur échelle mais ils ont trouvé des tas de recoins, greniers, toitures, interstices où les différentes tribus qui composent le Petit Peuple ont installé leurs villes. Ils décomposent la Terra Incognita en différents environnements : le Giganti où vivent les Géants, les Drumes les sous-sols et égouts où les créatures du cauchemar ne sont pas rares et le mystérieux Venis, situé sous les Drumes où reposent les ruines de la ville romaine. Le monde des Géants est extrêmement dangereux mais c’est dans ce monde que le Petit Peuple trouve ses ressources matérielles et magiques. En effet, pas de Petit Peuple sans magie et dans les Oubliés, l’essence de la Magie provient des rêves des Géants. Les rêves sont récoltés par un corps spécifique d’Enfants de songes, les Rêvirines. Leur métier est très risqué, les rêves des Géants ayant le pouvoir d’embrumer le cerveau des êtres du Petit Peuple, s’ils s’y prennent mal.

Les Enfants des songes constituent un peuple divisé, il comprend 7 races (Kobbolds, Velus Nutons, Lutins, Korrigans, Farfadets, Gnomes et Belgfolks) et 13 tribus. De nombreux sujets divisent le Petit Peuple et les tribus coopèrent peu, se méfiant les unes des autres. Une tribu a disparu et une autre a rejoint le cauchemar dont les créatures parcourent également la Terra Incognita. La plupart des Enfants des Songes ont cessé de rechercher à retourner à Edenia. Il y a néanmoins une exception : ce sont Les Oubliés, des individus mus par une vocation, un appel du destin, à rassembler les traces du passé et rechercher les portes vers Edenia. Les personnages sont des Oubliés.   

J’ai entendu parler de ce jeu au lancement du financement participatif. Le monde et les illustrations m’ont tout de suite plu. Grand lecteur de Spirou dans mon enfance, je rêvais devant les illustrations du Petit Peuple de Pierre Dubois. J’imaginais bien volontiers que ma forêt ardennaise était peuplée de ces petites créatures féériques. C’est donc tout naturellement que le jeu m’a attiré tout en imaginant qu’il devait être difficile d’incarner ce type de personnages, qui dans mon imaginaire sont par nature incompréhensibles à l’esprit humain. Manque de temps et d’argent, j’avais passé mon tour lors du financement mais j’ai pu plus tard acheter un pack Velu Nuton d’occasion. Ce dernier comprend les 3 livres, une petite campagne et des petits livrets exclusifs du financement.

Intérêt des personnages et du monde

Plusieurs vidéos m’avaient présenté l’univers et le côté très urbain de l’univers constituait un décalage avec ma vision du Petit Peuple. A la lecture, j’ai trouvé que cette vie au milieu des humains était finalement une bonne idée. Vivre à côté, caché, tout en dépendant pour les ressources et la magie des humains, constitue une dualité intéressante et un terreau d’histoires. Et c’est finalement assez typique des histoires de féerie, souvenons-nous d’Arriety !

Le changement d’échelle est assurément un aspect piquant des visites dans le monde des Géants. Le fait que ce soit en milieu urbain amplifie cet aspect je trouve. Escalader une table ou un placard quand on fait 8 centimètres de haut doit être toute une aventure ! Un chat est un redoutable adversaire digne d’un dragon dans un jeu médiéval fantastique. Par ailleurs, les rebuts de l’artisanat humain deviennent des objets prisés pour les Enfants de Songe : casseroles, bouilloires, ou aiguilles à coudre trouvent une autre destination dans leurs mains.

Malgré son échelle réduite à une ville imaginaire dans le sud de la France, le monde des Oubliés est un monde plein d’enjeux, de conflits et de diversité. Entre les anicroches entre tribus, les relations avec les Géants, le cauchemar, la recherche du passé, la politique interne de chaque tribu, la lutte pour les ressource et la survie, les secrets de chaque tribu ou encore les lieux et l‘environnement, les sources d’inspiration et de scénarios ne manquent pas.

Faire des personnages une compagnie d’Oubliés, ces Enfants des Songes à la recherche du passé et du monde perdu d’Edenia, constitue également pour moi une très bonne idée. Cela permet de souder des individus issus de peuples et de tribus différentes dans un groupe avec des objectifs convergents.

La dualité et l’opposition entre Songe et Cauchemar est un autre moteur de l’univers. Le combat semble tourner au désavantage des Enfants des Songes. Entre trahison de la 13ème tribu et alimentation par les horreurs accomplies par les humains, la situation semble périlleuse voire désespérée pour le Petit Peuple. Ce qui est intéressant, c’est que les personnages ne sont pas des créatures exclusivement de songes mais d’équilibre entre les deux et qu’elles peuvent recourir au cauchemar. Ce recours est matérialisé dans les règles par la possibilité de pencher du côté du Cauchemar et par le double D12 (voir plus loin).

Le Monde est riche, deux livres sont d’ailleurs consacrés à le décrire. Le livre 2 s’attache aux peuples et aux tribus, y compris la tribu perdue et celle qui s’est vouée au Cauchemar. Le livre 3 est un atlas de la Terra Incognita, très riche et détaillé. On va retrouver des lieux supplémentaires dans les carnets fragmentés et notamment la capitale d’Edenia, Triklir. Le monde est vraiment passionnant, divers et vous ne manquerez jamais d’idées de scénarios je pense.

Tonalité et thèmes

Une caractéristique commune des différents aspects du monde des Oubliés est sans nul doute le côté sombre, violent et désespéré. Les chances de retrouver Edenia sont faibles et ce qu’ils vont y trouver ne sera pas folichon. Les établissements des Enfants des Songes sont toujours précaires entre risque de découverte ou de destruction accidentelle par les humains et menace d’invasion par les créatures du Cauchemar.

On n’est pas dans le registre des gentilles créatures des forêts jouant de la flûte et des mauvais tours aux humains. Les thèmes de l’exil, de la menace d’extinction, de la peur et de la méfiance et de la cruauté sont omniprésents dans le jeu. La campagne par exemple débute dans une prison où règnent l’injustice, la corruption, l’oubli et la mort. D’un point de vue personnel, cet aspect est peut-être même un peu trop prégnant dans l’univers.

Système

Touchons deux mots du système.  On ajoute un score de compétences au meilleur de 2D12 et il faut obtenir 12 ou mieux que l’adversaire. Les scores de compétence d’un personnage proviennent du peuple auquel il appartient, de sa profession et de ses choix, devant permettre une bonne variété de personnages. L’un des deux d12 est clair représentant les Songes et l’autre foncé représentant le Cauchemar. Normalement, le joueur retient le dé correspondant à la tendance dominante de son personnage mais il peut retenir l’autre contre une « dette ». Je n’ai pas bien compris comment fonctionne cette dette mais je suis passé assez vite sur le chapitre.

La magie des songes fonctionne avec un système de sortilèges par domaine de magie (Chimérisme, Magie et Oniromancie). Je ne suis pas rentré dans le détail mais ça a l’air puissant et sympathique. Le système de combat semble trapu ; je n’ai rien compris au système d’initiative et il existe un système de primes et handicaps habituel chez les XII Singes dont je ne suis pas fan. J’ai vu quelques critiques qui juge le système plutôt négativement. J’attendrai de l’utiliser pour juger mais les principes de base m’ont l’air plutôt simples et efficaces.

La gamme

La gamme est fermée et il n’est pas prévu d’autres suppléments à ce jour. Elle comprend 3 livres : le livre de base, l’Encyclopédie du Petit Peuple et l’Atlas de la Terra. Pour tirer tout le sel du jeu, les trois me semblent indispensables. L’encyclopédie et l’Atlas sont vraiment passionnants. L’atlas est très touffu, il est difficile à lire d’une traite tant la quantité d’information est importante.

L’écran est fourni avec la campagne appelée Les Convois du Remord. J’y reviendrai mais je trouve la campagne très particulière et il est dommage à mon sens qu’il faille l’acheter pour acquérir l’écran. Le financement participatif comprend 5 livrets de 16 pages présentant des lieux ou des sujets particuliers. Je ne les ai pas tous lus mais ils ne me semblent pas nécessaires au jeu, vous pouvez aisément vous en passer.

Des qualités et quelques défauts

J’aime beaucoup le jeu. Il correspond à ce que j’aime jouer, j’aime son univers, sa richesse, l’esthétique du jeu et j’aime les D12. Néanmoins, plusieurs points m’ont dérangé :

Le choix de l’époque : le monde des géants est situé XVIème siècle pendant les guerres de religions. Je me demande pourquoi donc avoir choisi cette époque. Je pense que c’est en raison justement de ce conflit qui favorise l’ambiance de cauchemar. Mais bon, le XVIème siècle, cela ne colle pas avec une grande ville, avec des mobiliers compliqués, une économie qui crée des objets dont on ne se sert pas… les modes de vie sont franchement différents, encore assez frustres en termes de culture matérielle. Elle n’est d’ailleurs pas décrite dans le jeu et la Terra Incognita ressemble plus à un monde médiéval fantastique qu’à un XVIème siècle historique. Ce n’est pas très grave mais j’aurais préféré une époque plus tardive.

Le ton : Comme indiqué plus haut, j’ai trouvé le niveau de violence et de désespoir un poil trop élevé. Cela risque à mon sens de dégoûter certains joueurs. J’en ai eu l’expérience avec Shaan 1ère édition que j’ai dû arrêter à la demande des joueurs du fait de son ambiance trop lourde et oppressante. Le début de la campagne est particulièrement dur avec des abus en tous genres dans une prison.

Le vocabulaire : Le jeu développe un large vocabulaire spécifique : les peuples, les tribus, les environnements, les créatures du Cauchemar, les institutions spécifiques et même les animaux. En soi, ça ne me dérange pas, je vous rappelle que je joue à Jorune. Ce qui m’a irrité, c’est l’incohérence apparente du choix des mots : issus de différentes langues ou inventés, sans rapport avec le sud de la France et tapant dans différents registres. Même le nom des peuples mélangent allègrement dans différents folklores sans distinction qu’ils soient anglo-saxons et français. Punaise, Belgfolk dans le Languedoc, ça tâche ! Ensuite, choisir des mots pour des réalités spécifiques, je comprends, mais transformer un chat en drachat, je ne comprends pas !  Le souci est que pour moi, ça me casse l’immersion et l’appropriation.

Conclusion : vais-je y jouer ?

Je me laisse aller à la critique, mais oui je vais maîtriser ce jeu. Il regorge d’idées et son monde est inspirant. Je pense que pour les joueurs, jouer ses petites créatures à la recherche de leur monde d’origine, armés d’une aiguille à coudre peut se révéler bien fun. En revanche, je ne jouerai pas la campagne officielle trop sombre à mon goût, mais il y a tellement d’éléments dans le monde que monter une campagne ne devrait pas être trop complexe.

Je vais d’abord tester le jeu un de ces jours en one-shot. Ne disposant pas des pdf, ce sera en présentiel, ce sera mieux, donc je risque d’attendre encore un peu…

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