J'ai lu : Spire Le Soulèvement
C’est quoi ?
La Cité de Spire s’élève dans le ciel, immense, sale, industrielle. Personne ne sait qui l’a construite ou ce qu’elle est, mais Spire a toujours été habitée par les elfes noirs ou drows. Ces elfes vénèrent la lune et craignent la lumière du soleil qui les brûle atrocement et les aveugle. La cité fut conquise il y a plusieurs générations par les Hauts Elfes ou Aelfirs, qui s’arrogèrent les hauts quartiers et dominent depuis la vie de la cité. Décadents et jouisseurs, les aelfirs sont immensément riches et méprisent leur congénères drows. Leur joug est ignoble et implacable. Les elfes noirs doivent servir gratuitement leurs maîtres pendant 3 ans, c’est l’institution de la Corvée, une forme d’esclavage temporaire. Mais dans l’illégalité la plus totale, le culte de Lombre, la face cachée de la lune, prépare la révolution et le renversement des hauts elfes. Vous en êtes des membres, les Ministres, et cela pour le meilleur et pour le pire.
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Spire le Soulèvement est un jeu de rôle indépendant britannique traduit par l’éditeur Barbu Inc. On y joue des elfes noirs confrontés à l’oppression des hauts-elfes et adeptes de la lutte armée. Son système est maison mais fortement inspiré par l’Apocalypse.
Pourquoi je l’ai acheté ?
Cette histoire d’elfes noirs oppressés, de ville tentaculaire, de mouvement de libération alternant infiltration et violence m’a titillé. Il me semblait que les intrigues ne tourneraient pas autour d’histoires de résistance héroïque mais seraient sales, sanglantes et pleines de conflits de moralité. En revanche, les illustrations m’avaient un peu décontenancé et le choix d’un système ressemblant à un pbta m’interrogeait. Ce type de système est-il vraiment compatible avec un monde décrit, très original, dont l’attrait réside dans la découverte et pas dans une création commune ? Mais jouer des personnages tout en nuance de gris, un jeu qui confronte les joueurs à des choix cornéliens et un monde très original, c’est tout ce que j’aime. J’ai donc craqué. Je m’attendais à un monde urbain mais medfan avec un système plutôt léger.
L’univers
Le gros morceau de Spire reste l’univers. De nombreux chapitres décrivant des quartiers ou des « corps sociaux » (religions, haute société, criminalité…) forment une bonne part du livre. Ils sont généralement constitués de paragraphes décrivant un lieu, une faction, un événement… Une partie de l’univers est également décrit au travers de la création de personnage avec des concepts hauts en couleur qui sortent de l’ordinaire. Il y a du vocabulaire propre au jeu à foison : du lahjan, de la spirenoire ou le réseau vermissien . Ce n’est pas Jorune mais on en n’est pas loin ! Alors à quoi ressemble cet univers ?
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Tout d’abord, Spire va au-delà du medfan : les armes à feu existent (souvent peu fiables), Spire comprend un quartier industriel, des journaux diffusent des informations, on approche le steampunk mais avec les codes de la fantasy. On trouve dans Spire des elfes bien sûr mais aussi des humains, des gnolls et des mutants, il y aussi de la magie et des créatures fantastiques (comme les baleines volantes), des religions polythéistes y sont en concurrence et accordent des rituels à leurs fidèles.
On trouve dans Spire certaines des races emblématiques du genre medfan mais elles ont toutes un twist particulier à commencer par les elfes noirs. Le truc qui m’a le plus marqué est que ces derniers ont du sang arachnéen, rendant leurs nouveau-nés non-viables si les œufs des drows ne sont pas soignés et nourris par une caste spécifique, les Nourricières.
Spire est dirigé par un Conseil dont les membres à vie se désignent entre eux. Comme l’espérance de vie des elfes est longue et un processus magique permet d’arrêter le vieillissement du corps (en contrepartie tous les processus biologiques sont aussi arrêtés : plus possible de manger ou de se reproduire), les membres du Conseil y restent très longtemps. Il est composé de représentants de grandes familles ou d’institutions : tous sont des aelfirs à l’exception d’une drow qui sert d’alibi. Le maintien de l’ordre est principalement assuré par trois institutions : l’armée aux mains des aelfirs, la garde qui n’évolue que dans les quartiers d’en bas (et encore pas les plus pourris) et enfin les milices privées des grandes familles aelfirs.
De nombreux bas quartiers sont dirigés par la pègre qui constitue un pouvoir tiers. La religion traditionnelle des drows perdure autour de l’immense temple de la déesse lunaire mais seul un des trois cultes qui la constituaient est autorisé (celui de la Lune cachée est bien sûr interdit). La religion solaire des aelfirs gagne du terrain mais c’est surtout la profusion de nouveaux cultes étranges qui marque la vie religieuse de Spire. Un autre pouvoir est constitué par les Thanatologues qui ont le monopole légal du traitement des défunts et des rituels d’immortalité.
Le livre de base passe en revue de nombreux quartiers de la ville qui se répartissent dans les différents niveaux de la ville. Les ambiances sont très variées : un système de transport abandonné où la réalité semble différente et qui constitue un refuge de marginaux, le cœur magique et mutagène où seuls vivent les plus désespérés, le quartier des docks où pullulent les chevaliers (des gangs qui prétendent avoir un code d’honneur) et les bars, les fosses où l’on fait pousser sur des cadavres les champignons qui sont l’alimentation de base de nombreux drows, les hauts quartiers où la coutume aelfir de sortir masqué s’impose à tous.
La magie est bien présente. Même si le livre précise que vous choisissez son existence et son niveau de présence, il est difficile d’ignorer le cœur de la ville qui transforme les gens, les rituels d’immortalité et tout un tas de recours à la magie. Par ailleurs, la technologie a un côté magique : la fumée des usines crée un dépôt noir qui sert de poudre bon marché, les humains analysent et reproduisent des technologies d’un autre âge découvertes dans des cités perdues (les arcologies), les couloirs du métro abandonné n’obéissent pas aux mêmes règles d’espace-temps…
Ce monde un peu délirant et foisonnant ne doit pas faire oublier que le sujet du jeu est la révolte et la Résistance. D’ailleurs, à un moment de la lecture, j’ai trouvé que les auteurs perdaient un peu de vue cet angle de jeu et s’égarait dans les méandres de la présentation de leur monde. Avec le chapitre sur la religion, j’ai fini par reboucler les fils mais bon, l’organisation du bouquin est peut-être à revoir. C’est une vision qui n’est pas romantique : les personnages ne sont pas des gentils et le sujet du jeu est bien de confronter à des choix difficiles : sacrifier sa famille ou son quartier pour de plus hauts buts, respecter des ordres qui semblent contraires au but, exécuter des traîtres, des collabos et des innocents, faire respecter des coutumes drows sanglantes…
Le système
Le système de résolution est un système original qui utilise les d10. Le résultat d’un jet se lit sur un dé à 10 faces : 1 est un échec critique, 2-5 un échec, 6-7 une réussite mitigée, 8-9 une réussite et 10 une réussite critique. Le joueur lance au minimum un d10 pour tester une action de son personnage. Ce dernier n’a pas de caractéristique, il dispose de compétences, de domaines et de techniques. Pour chacune de ses catégories qui s’appliquerait à l’action, le joueur dispose d’un dé supplémentaire. Le meilleur jet sert de base à juger la réussite de l’action.
L’échec d’un personnage amène à incrémenter des jauges de stress. Ces jauges sont au nombre de 5 (Sang, Argent, Ombre, Esprit, Réputation). Leur évolution peut amener des contre-coups : la perte de leur couverture, une blessure, des dettes, etc…
Création de personnage
La création de personnage repose sur le choix d’une Corvée (de conscrit à ouvrier en passant par émissaire) et d’une classe. La classe est la profession du personnage : il y en a 9 et elles sont plutôt originales. Vous pourrez jouer un prêtre de la mort avec sa hyène qui dévore les corps, un artiste renommé et suivi ou encore une de ces nourricières qui s’occupe des œufs et des nouveau-nés.
La corvée et la classe permettent d’obtenir des compétences, résistances et domaines. Des pouvoirs spéciaux appelées améliorations sont accessibles : 2 mineures à la création puis d’autres ensuite.
Narration partagée ?
Les joueurs sont mis à contribution à la fois de façon traditionnelle pour décrire leur corvée et leur vie actuelle mais aussi pour constituer les liens du groupe, suggérer le type d’intrigue et imaginer des éléments du décor de la cellule de résistance que leurs personnages forment. Cependant, cet aspect de co-création est finalement assez peu présent dans le jeu.
L’aspect « Apocalypse » du système se retrouve plus dans la façon de construire les campagnes et de mener. Outre la grande liberté laissée pour fixer les limites du monde et la réalité d’un certain nombre d’aspects du monde, des conseils sont donnés pour bâtir un cadre (un quartier et une intrigue), le faire progresser et confronter les personnages aux conséquences de leurs choix et de leurs actions. L’objectif est d’aboutir à une campagne un peu stéréotypal : les personnages font leurs premières missions, ils découvrent les enjeux qui se cachent derrière, le Culte commence à prendre le contrôle du quartier, puis enfin il faut faire des choix entre allégeance au Culte, poursuite de la libération des Drows, attaches familiales (ou autres) ou encore sauvegarde de nombreuses vies.
Conclusion
J’avoue avoir été un peu perdu après la description de plusieurs quartiers sans fil conducteur. Ces descriptions de quartier m’ont semblé certes très imaginatives mais un peu foutraques en apparence. J’ai eu surtout l’impression que les auteurs perdaient leur angle de jeu initial, celui de la Résistance. Puis sont arrivés les chapitres sur le Culte et sur la Résistance et tout s’est éclairé à nouveau. Je suis retombé sur mes pieds et retrouver une certaine cohérence d’ensemble quant à l’univers.
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Pour ce qui est du système, je m’attendais à un système de jeu comprenant plus de narration partagée ou de mécanismes de gestion innovant. Finalement, le système est plutôt traditionnel. Comme j’aime les deux, cela n’a pas d’influence sur mon appréciation du jeu.
Finalement, une fois le livre refermé, je me suis dit que cela faisait longtemps que je n’avais pas autant apprécié un univers à la lecture et j'ai vraiment envie de le tester. J’y vois deux raisons principales : l’originalité du monde d’une part et d'autre part l’angle de la résistance par des personnages qui ne sont pas des gentils et pour qui il faut bien casser des œufs pour faire une omelette. J’entâme de ce pas la lecture de Strata…