Portrait de Famille - 7ème Mer - 5

Publié le par Mickey

A l’occasion de la sortie de l’exclu française « Le prix de l’arrogance », et après plusieurs dizaines de séances en tant que joueur, et autant en tant que MJ, petit retour sur l’intégralité de ce jeu dont la seconde édition a secoué Kickstarter à son époque (avant le tremblement de terre Avatar Legends !).

Ce Cinquième volet concerne Le Nouveau Monde.

Nouveau Monde

Un certain niveau de hype…

S’il n’y avait qu’un seul argument à mes yeux pour s’intéresser à cette seconde édition, cela serait bien ce supplément ! En bon représentant de la génération Club Do’, j’ai été élevé par la TV et ses dessins animés, et l’un des meilleurs, des plus exotiques et mémorables, fut pour moi les Mystérieuses Cités d’Or. Depuis tout petit, ces civilisations me fascinent et m’évoquent le merveilleux, le terrible et aussi le pulp. Au point où j’ai pu faire plusieurs voyages pour découvrir sur place les traces des Aztèques, Mayas et Incas. Imaginez bien que j’en ai encore pleins les yeux !

Quand 7th Sea est sorti, le jeu avait tout pour émuler les aventures d’Estéban, Zia, Tao et le bon Pichu… sauf les cultures précolombiennes ! Quelle frustration. Depuis, quelques rares jeux proposaient un angle précolombien (du GURPS bien sûr, le tout récent et donjonisant Dragons Conquer America, ainsi que le français et moyen Teocali, pour quelques exemples). Alors lorsque John Wick lança son financement participatif sur la promesse de toute une gamme INCLUANT le Nouveau Monde : bingo !

Bref, tout cela pour vous expliquer le niveau de mes attentes sur ce supplément.

Il était une fois l’Aztlan

Comme d’habitude pour les suppléments « continentaux » (celui-ci donc, l’Empire du Croissant, Terres d’or et de Feu), le livre va présenter les différentes nations qu’il abrite, mais commence par les éléments communs. Cela aura le défaut (aussi présent dans les autres suppléments) d’obliger d’attendre la dernière page pour avoir toutes les pièces du puzzle. Et on découvre de sacrées révélations quasiment à la toute fin (que je ne spoilerai pas) !

En lien avec le supplément Nations Pirates, qui nous expliquaient comment avaient été reçu les voyageurs théans lorsqu’ils découvrirent et voulurent coloniser les nouvelles terres découvertes à l’ouest, ainsi que la présence du Dieu Serpent-à-plume Apocoatl, on apprend ici que ce gigantesque continent était peuplé depuis bien longtemps aussi par une civilisation qui n’avait rien à envier au vieux continent : les Aztlans. Leur grande particularité était la présence réelle et concrète des Dieux. Sur cette terre, les divinités ne sont pas abstraites ou intangibles, et si bien des aztlans ont pu vivre sans jamais en croiser, tous connaissent quelqu’un qui a déjà eu à faire à une divinité et ses dons ou caprices. Les Dieux-Rois n’étaient pas humains, pas des Monstres, et ne raisonnaient pas comme nous, mais ils étaient là et avaient maîtrisé le cycle infini de la vie et de la mort et interdit l’usage de la sorcellerie. Jusqu’à la Chute. Personne ne peut dire exactement ce qu’il se passa et qu’elles en étaient les origines, mais en ces temps immémoriaux, soudainement, les Dieux-Rois disparurent (mais de nouveaux Dieux apparurent) et les civilisations qu’ils avaient bâties en firent de même.

De là émergèrent les 3 grandes civilisations qui règnent encore sur ce gigantesque continent. Chacune a une mythologie un peu divergente à partir de la Chute, avec ses propres Dieux, Monstres et organisations sociales.

L’interaction avec les théans est aussi abordée : comme ces derniers ont déjà eu à faire face à une société organisée dans l’Atabéenne – les rahuris – sans parler de leurs Monstres décimant les navires, les théans arrivèrent diminués sur le nouveau continent et firent face là encore à de solides autochtones pas du tout intimidés. Si de profondes divisions entre chaque nation existent et peuvent être exploitée, les théans n’eurent pas le temps de les percevoir lorsque les dieux eux-mêmes se chargeaient de punir les plus téméraires des colons. Enfin, contrairement à notre réalité historique, le génocide autochtone par la maladie n’eut pas lieu. L’auteur se permet même d’en donner une raison, au détour d’une description de lieu, qui pourrait être un axe entier de campagne.

A noter que comme dans les autres suppléments, les sujets un peu « touchy » (esclavage pour nations Pirates & Terres d’or et de feu ; religions pour l’Empire du Croissant) comme les sacrifices humains et l’évangélisation forcée sont travaillés pour ne plus exister, ou seulement chez les pires Scélérats.

Enfin, le supplément apporte évidemment son lot de magie (voir plus bas), d’Ecoles d’escrimes, mais aussi de sociétés secrètes. Contrairement aux précédents suppléments, l’une d’entre elle pose les bases d’un élément majeur de l’Univers, si tant est que l’on s’y intéresse, et a clairement été construite pour justifier n’importe quelle intrigue où les « méchants veulent détruire le monde ».

L’Alliance Nahuacane – les Aztèques de 7e Mer

A l’ouest de la mer atabéenne, une grande étendue désertique et montagneuse abrite plusieurs cités vénérant toutes un dieu différent. Alors que ces dieux se faisaient la guerre par cité interposée, des soldats refusèrent de s’entretuer pour si peu et firent comprendre que tous ces morts affaiblissaient ces derniers, et qu’ils auraient plus à gagner à se tolérer. Ainsi, 4 Dieux majeurs (dont notre bon Apocoalt), chacun vénéré par une des 4 cités aux 4 points cardinaux, firent une paix relative et établirent l’Alliance. Pour ne pas favoriser une cité parmi les autres, tout ce qui concerne l’Alliance en commun, fut centralisé dans une nouvelle cité, au croisement des 4 autres, et dirigé par le grand Orateur.

Outre la culture et l’organisation sociétale nahuacane, chaque cité est passée en revue, ainsi que son dieu tutélaire. Bien sûr, il existe encore plusieurs villages ou regroupement nahuacans non fédérés, avec leurs propres dieux, que l’Alliance se doit de vaincre et assimiler. Car l’Alliance ne survit uniquement que grâce à l’expansion militaire : c’est ce qui unit les Quatre Dieux, ce qui fournit ressources et main d’œuvre aux cités. Sans cela, l’Alliance et la société nahuacane s’auto-cannibaliserait sans doute. Leurs rites guerriers semblent certainement barbares aux yeux des théans, mais ils sont rudement efficaces grâce à leurs unités d’élites (les Chevaliers Aigles) et de renseignements/black-ops (les Guerriers Jaguar) et ont suffisamment repoussé les rares volontés colonialistes pour que s’ils recommencent, cela soit par des voies bien plus subtiles (et donc Scélérates !).

Les enjeux de l’Alliance sont donc doubles : maintenir une stabilité économique et politique, malgré les perturbations extérieures (théans qui grignotent des comptoirs, sociétés secrètes poussant au retour des Dieux-Roi) et intérieures (cités indépendantes ; guerre d’influence entre les Aigles et les Jaguar alors que le Grand Oracle n’a jamais été aussi jeune et fragile) tout en assurant l’expansion territoriale. Les Quatre eux-mêmes seront peut-être poussés à trahir leurs promesses de paix ?

Le Tzak k’an – les Mayas

Entre les hautes terres désertiques nahuacanes et le sous-continent kuraq, un immense territoire de jungles denses et sauvages abrite une constellation de cités états toutes dédiées à un Dieu particulier. Seules leurs élites – les scribes qui officient comme juristes / religieux / administrateurs – tous formés au même endroit, permettent de définir une base culturelle commune à ces sociétés parfois très isolées les unes des autres par l’hostilité de cette nature : ils sont Tzak k’aniens.

Ces derniers ont une philosophie qui se veut étrange et radicale : le temps n’est pas linéaire mais cyclique et les constellations permettraient d’en lire l’Histoire. Ainsi, ils attendent la fin de ce monde sans rien entreprendre pour l’éviter, puisque c’est déjà arrivé et inéluctable. Pour autant, les tzak k’aniens ne sont pas de faibles indolents : la survie dans la jungle, où l’eau est rare car souterraine, est une gageure de chaque instant. La faune et la flore sont dangereuses, sans parler des Monstres et autres Dieux sauvages. Même les habitants sont à surveiller : des chasseurs/cueilleurs d’autres cités vous pourchasseront sans doute s’ils vous croisent, et si vous croisez une de ces expéditions de théans avides d’artefacts pré-Chute (qu’ils appellent souvent « Syrneth »), vous n’êtes pas à l’abri de finir comme porteur ou revendu par la Compagnie à une plantation des colonies atabéennes...

Si on a vu précédemment que les Dieux-Roi avaient interdit la sorcellerie, celle-ci n’a pour autant pas disparu. Au Tzak k’an, on peut initier une quête pour invoquer l’aide de créatures mystiques – les Pixams – ou d’artefacts de la mythologie locale – des Baxans afin d’en récupérer les pouvoirs. C’est le Wayak’ Kan. Cela aura toutefois un prix, celui du sang du sorcier, et parfois le Serpent des Visions ne sera pas aussi docile que prévu…

Sur les terres tzak ‘anienes, pas de pouvoir central : chaque cité est autonome et impose ses règles jusqu’à ce que ses terres entrent éventuellement en conflit avec l’expansion d’une autre cité. Là, les armes d’obsidienne s’exprimeront sans doute, à moins qu’une alliance s’installe.

Le supplément nous propose quelques cités - n’apparaissant pas toutes sur la carte d’ailleurs - leurs particularités évocatrices, alliances et conflits. Le conflit le plus saillant reste ces cités qui se revendiquent des Dieux-Rois et celles qui les rejettent. A noter qu’en fin de livre, quelques pages sont dédiées à des tables aléatoires pour créer sa cité étrange et unique.

Les tzak k’aniens sont créés pour être étranges et proposer les poncifs de l’exploration des jungles mésoaméricaines. Si là encore de nombreux détails civilisationnels sont décrits pour donner corps à cette culture, le challenge est grand pour ne pas tomber dans la simple caricature.

J’aurais aimé cependant avoir plus de traces des complots de l’Inquisiteur / explorateur (et grand méchant du livre) Caldéron. Car si on sent bien que des histoires ont été libérées pour que le MJ s’en saisissent, comme ailleurs dans la gamme, les amorces sont bien faibles

L’Empire Kuraq – les Incas

Hop hop hop, voilà mes petits chouchous !

Si les aztèques et mayas étaient assez faciles à reproduire tant leurs singularités sont connues et évocatrices du grand public, pour les Incas, c’est plus compliqué car les stéréotypes sont plus restreints : peuple du Soleil, ils regorgent d’or et ont formé un empire immense dans les hauteurs arides des Andes. Les connaisseurs ajouteront éventuellement des momies, quipus et du Machu Picchu.

Ici, les auteurs se sont nourris de tout cela en proposant un twist assez fort et diablement séducteur : les kuraqs vénérant leurs morts – momifiés et disposant d’une place centrale dans leurs masures – pour les plus notables de la sociétés (les Vénérables), les prêtres du dieu de la mort Supay peuvent rattacher les âmes défuntes à leurs corps décharnés. Ces derniers se choisiront parmi leurs descendants un porte-parole à travers lequel ils s’exprimeront, pour diriger les grands choix de la lignée.

Même la magie de cette nation est liée à la mort : le Wanuy Naqay. Cela consiste à se forgeant un masque funéraire intégrant des restes du corps d’un Vénérable pour obtenir de grands pouvoirs.

On se retrouve donc avec une société totalement tournée vers le pouvoir despotique des Vénérables - présent dans chaque famille et pour chaque décision - reliés et dépendant du clergé de Supay, lui-même infiltré par un réseau d’espions au service de l’Empire, le tokoyriq.

Pire encore : le porte-parole se retrouve littéralement possédé et à disposition du Vénérable, pouvant être un tyran à son insu. Mais ce ne serait rien, si en plus, l’Impératrice kuraq Incasisa, ne s’était pas sacrifiée avec une centaine d’autres volontaires, pour repousser la première (et dernière, vu le résultat) tentative de colonisation des théans, avant d’être liée à sa momie et de garder le pouvoir depuis. Pour affermir totalement son contrôle sur la société kuraq, elle n’a pris personne d’autre comme époux que… Supay !

Ce n’est que le vieux trope med-fan de la société mort-vivante, me direz-vous, rien de très original là-dedans ? Mais non, car le règne pluri centenaire de l’Impératrice a réellement permis un développement conséquent de son peuple : agronomie, stabilité, expansion. Les kuraqs ne connaissent plus la faim et l’insécurité, ni le doute de leur destin : les Vénérables, le clergé de Supay, le tokoyriq et l’Impératrice ont décidé ce qui était le mieux pour eux. Et un Dieu ne peut avoir tort. L’ambiance du Kuraq est plus à rapprocher de Ba-Sing-Se sous le règne du Dai-Li, dans le génial Avatar le Dernier Maître de l’Air. Car si au premier abord tout le monde semble heureux et à sa place, malheur à ceux qui souhaiteraient épouser quelqu’un d’autre ou faire un autre métier que ce qu’ont prévu les Vénérables ! Au Kuraq, il n’y a pas de places pour ceux qui souhaitent changer les choses.

Et pourtant... Qui voudrait épouser quelqu’un, ou se choisir un métier, uniquement parce son ancêtre en a décidé ainsi ? Qui renoncerait à son dieu et accepterait de le dénoncer aux awqayllis, ces guerriers d’élite lancés dans la Chasse Divine, pour le sacrifier à Supay ? Qui ? Les rebelles du Pakayruq ! Cette organisation tente de sauver les Dieux restant et leurs fidèles et de redonner un peu de souffle au libre arbitre. Imaginez bien que les Rilasciare en seraient les premiers fans.

Vous comprenez maintenant en quoi ce qui nous est proposé est beaucoup plus fin qu’un simple trope ? Rajoutons à cela le soupçon du clergé sur le fait que, peut-être, Supay ne soit pas si épanouie ou consentant dans cette union ; que l’Impératrice est très intéressée par l’acquisition du savoir-faire théan pour des navires de haute-mer afin pourquoi pas d’offrir aux peuples du reste du monde la joie de ne plus jamais avoir à perdre le contact avec leurs défunts (c’est là où le titre d’Impératrice prend tout son sens…) ; et vous avez l’autre grande méchante du supplément.

Le reste du chapitre nous présente bien classiquement les principaux éléments de la culture locale, de ses castes et lois, ainsi que les principales cités.

Un élément regrettable, qui n’aurait pas pris beaucoup de place et doit sans doute tenir pourtant à cœur aux andiens, c’est l’absence de la coca (ou équivalent John Wickesque). Cette plante des jungles est un pilier de leur culture, intégrée à tous les rites et très utile pour supporter l’aridité et le mal des hauteurs (et là, on parle de plateaux et cités à plus de 5000m d’altitude !). Cela aurait pu devenir la monnaie Kuraq, et donner lieu à un conflit avec les tzak k’aniens puisque cette plante ne pousse que sur leur territoire. Mais non.

Bilan

Après avoir expliqué mon niveau d’attente, je peux dire qu’à mes yeux ce supplément est un must-have, pour plusieurs raisons :

  • La plupart des illustrations sont superbes et évocatrices par leur exotisme précolombien (même si certains personnages ont parfois des proportions étonnantes). J’en aurai encore repris, notamment sur les paysages / architectures.
  • Comme sur les autres suppléments, un gros travail a été fait pour typer et caractériser chaque culture. Mais, sans doute parce que ce thème m’est cher et que j’en suis devenu un peu connaisseur, là je me vois facilement en tirer tout le bénéfice.
  • Un petit chapitre est dédié aux règles d’Obstacles : la puissance du danger lui octroie des Mises qui pourront être dépensées pour déclencher des pouvoirs particuliers (« Aspects ») permettant d’émuler le danger. C’est simple, élégant et évocateur. J’adore.
  • Il y a de l’exotisme, du complot et des mystères en veux-tu en voilà. Si, comme moi, vous voulez y rajouter une couche « historique », ca se fait sans difficulté aucune.

J’admets toutefois quelques réserves mineures :

  • Là encore, les cartes sont frustrantes : d’immenses territoires non détaillés ni occupés apparaissent alors que par ailleurs pleins d’endroits décrit ne sont pas indiqués. C’est assez confusant. A la place des auteurs, j’aurai totalement supprimé le territoire intermédiaire du Tzak k’an et placé cette nation dans les jungles à l’est du Kuraq (qui en l’état sont totalement non décrites et inutiles).
  • Le thème des sacrifices humains, s’il est embrassé, l’est uniquement pour dire « bouh, c’est mal, ça ne se fait plus du tout, ou alors par quelques Scélérats totalement déviants qui veulent du mal à tout le monde ». Ok, il ne faut pas blesser les populations autochtones qui sont encore actuellement assez dépitées lorsqu’on agite le trope des sacrifices sanglants par milliers en haut des pyramides. Mais il y avait sans doute moyen de récupérer la substantifique moelle pulpesque de ces représentations, pour aller plus loin (après tout, la réalité semble être que ces rites concernaient surtout l’élite et étaient auto-infligées, donc on est loin des fous furieux).

Au final, à mes yeux, on tient là un supplément majeur du jeu, comportant une proposition ludique extrêmement forte et cohérente, qui peut même se passer du reste de la gamme (à par les règles, bien entendu). Quelques gros secrets ou factions (mais pour ces derniers il faudra beaucoup construire soi-même) permettent de faire des liens évidents avec le reste de la Terra, à fortiori l’Atabéenne, puis Théah avec la majorité des colons & explorateurs, sans parler de l’Ifri via les esclaves déportés.

Publié dans 7ème Mer

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