Portrait de Famille - 7ème Mer - 4

Publié le par Mickey

A l’occasion de la sortie de l’exclu française « Le prix de l’arrogance », et après plusieurs dizaines de séances en tant que joueur, et autant en tant que MJ, petit retour sur l’intégralité de ce jeu dont la seconde édition a secoué Kickstarter à son époque (avant le tremblement de terre Avatar Legends !).

Ce quatrième volet concerne L'Empire du Croissant.

L’empire du Croissant

L’Empire du Croissant est le supplément décrivant les régions inspirées du Moyen-Orient et d’Asie centrale réels : Turquie, Syrie, Iran et Arabie. Au lieu d’avoir un tout unique, les auteurs ont choisi d’en faire un empire constitué de plusieurs nations différentes mais partageant des bases culturelles suffisamment fortes et proches que face à un danger étranger, elles savent rester soudées. « Cinq doigts, un poing », comme ils disent, et ca se ressent bien à la lecture.

Le supplément détaille tout d’abord ce qui est commun à l’Empire : une culture antique (le katabique), des religions (on y reviendra) et les invasions adverses (« malcédonienes » pour Alexandre le Grand ; le Khan de Fer pour les mongols ; mais aussi l’Ancien Empire pour les romains, et la Vodacce toute proche).

Car oui, cette terre a été très disputée et l’est encore. D’ailleurs, quand ce ne sont pas des étrangers qui tentent de s’installer, c’est l’une des nations internes qui essaie de prendre le pas sur ses voisines. Enfin, surtout les Perses !

Evidemment, la région est façonnée par la religion, et ce supplément aussi. LES religions, même, car si le Sarmion est le berceau des yashidis (« juifs ») et du Premier Prophète Yesu, ce dernier a été enterré à Ashur. De plus, quelques siècles plus tard, le Deuxième Prophète est apparu encore dans la région. Puis, alors que le Croissant avait colonisé la Castille depuis plusieurs siècles, le Troisième Prophète l’a libéré dans l’équivalent d’une croisade. Alors au Croissant, on trouve des yashidis (ne reconnaissant pas les Prophètes), des orthodoxes (reconnaissant juste le Premier), des al-din (ne reconnaissant pas le Troisième et suivant plus précisément le Deuxième) et bien sur des vaticins (les reconnaissants tous, mais suivant surtout l’Eglise et, pour les plus radicaux, uniquement le Troisième). Et ce, sans parler des sectes divergentes (les anashids) ainsi que des païens perses ou bédouins vénérant respectivement les anges (« ahurayasna ») et les djinns !

Et c’est peut-être là l’un des soucis du supplément : à vouloir copier notre Histoire, il en copie aussi les lourdeurs. Surtout que pour ne pas manquer de respect à ces civilisations, chacune est développée, expliquée et évidement, nommée. On a donc de nombreuses divergences mais aussi beaucoup de recoupements et de redites, même si les auteurs ont vraiment essayé d’harmoniser ça sur tout le livre. De même, la présence d’un long lexique est indispensable, mais ma petite mémoire de poisson rouge a éprouvé tout de même quelques difficultés à la lecture pour différencier tel et tel courant.

Anatol Ayh

Equivalent de l’Arabie des contes de fée, c’est la nation principale du Croissant, par son rayonnement et le siège du pouvoir impérial. Ce dernier vient évidemment de connaitre un profond bouleversement, qui va permettre de créer du jeu : l’ancien empereur a été chassé par sa propre sœur (faut dire, c’est la seule qu’il n’a pas réussi à tuer pour s’emparer du trône !), l’Impératrice Safyie. Cette dernière en a profité pour abandonner les lois les plus significatives de son prédécesseurs (Registre des sorciers, et régime traditionnaliste de castes), ce qui ne plait pas aux plus conservateurs. Ainsi, chaque nation est parcourue par ces divisions, et si l’Impératrice règne actuellement, il ne manque pas grand-chose pour que les jeux d’alliance changent et se déséquilibrent.

Par ailleurs, les Anatoliens peuvent apprendre l’Art du Second Prophète comme sorcellerie pour réaliser des Miracles à partir d’un objet fabriqué par vos soins en l’honneur d’al-Musawwir (le nom « musulman » de Theus).

Ashur

Toute petite vallée autrefois stérile, des dévots du Premier Prophète y ont emmené des branches de son Arbre, qui y a poussé et développé une terre luxuriante parcourue d’eau pure. Du coup, on ne touche pas aux arbres ! Conséquences rigolotes : pas de papier, pas de feux de bois…

Ça aurait simplement pu être une nation de fanatiques orthodoxes, mais - d’une part - ils ont choisi de vivre « à la Yesu » en étant végétariens, communautaristes, pauvres et nomades, - d’autre part – un étrange garçon aveugle a réussi il y a des siècles a gravir pour la première fois l’immense Montagne Verte, et s’y est établi après avoir dit être capable de voir le futur. Depuis, ceux qui réussissent à rejoindre le Gardien du Premier Jardin au sommet deviennent des Assassins (oui, avec une muscule et un costume à la Ezzio arabe) aux pouvoirs magiques basés sur la lumière.

Ainsi, Ashur est une nation schizophrène entre 2 fanatismes antagonistes interdépendants (les élohims produisant la nourriture, les Assassins étant les seuls à pouvoir réellement défendre les frontières si besoin) et une myriade d’autres communautés acceptant tout ça.

L’idée est sympa, et un travail a été fait pour rendre Ashur un poil plus complexe, mais clairement, je n’imagine pas en faire un cadre de campagne autre qu’un détail centré sur les Assassins ou les mystères du Gardien (car il a été attaqué, et pour la première fois de sa vie, blessé ; et depuis, un poison abject coule de sa plaie et le jardin se meurt…).

Persis

Voici la Perse mythologique revue à la sauce John Wick. En poussant un peu le bouchon, on pourrait même y trouver du Xerxes du film « 300 ». Cette civilisation est antique, côtoyant les anges (ahuras) et démons (daevas, d’ailleurs l’auteur laisse planner le doute quant à la similarité ou non avec les dievai sarmatiens) et est clairement l’antagoniste interne du supplément. La Persis a envahi toute ou partie des autres nations, ou été dominée (comme actuellement). On dirait 2 frères qui se battent pour un même ballon : lorsqu’un autre gamin vient jouer, ils se défendent et finissent par jouer seulement entre eux.

Détail amusant, les démons sont toujours là : souvent reclus, parfois enfermés sous le palais même, ils peuvent être dominés. Mais ça, c’est pour les Scélérats ! Les héros perses, eux, peuvent vénérer les ahuras et se voir dotés de sacrés pouvoirs, ainsi que de paires d’ailes très stylées !

Le dirigeant actuel, le Shah Jalil est le méchant du supplément : marié au précédent Empereur, il l’a aidé dans toutes ses forfaitures comme lorsqu’il a empoisonné le roi du Sarmion et, tout en montrant patte blanche pour garder son siège de leader Perse, il complote contre la nouvelle Impératrice pour assouvir sa vengeance, quitte à vendre son âme aux diables. Ainsi, la Persis est dirigée d’une main de fer par le Shah, qui refuse l’al-din et les sorciers (très ironiquement…), et perclus de factions rebelles sous couvert de religions minoritaires. La guerre civile n’est pas loin, mais comme la Persis est peut-être la nation la plus riche, ça n’arrangerait pas vraiment l’Empire.

Sarmion

Voici l’équivalent d’Israël : terre d’origine des yashidis, ils sont toujours là malgré les invasions (perses donc, mais aussi numanaris et vodacci) grâce aux accords avec l’Anatol Ayh. C’est d’ailleurs pour cela qu’ils refusèrent le règne de l’Empereur Istani et œuvrèrent pour retrouver l’héritière légitime jusqu’à l’aider à reconquérir le trône. En retour, le Shah Jalil empoisonna le roi et fit tuer toutes ses filles (sauf une, Batya, qui était en voyage pour retrouver Safyie justement), pendant que les Vodacci, attiré par ce moment de faiblesses, retenta l’invasion. Bien sûr, le Croissant de l’Empereur Istani ne bougea pas un doigt pour les aider. Lorsqu’Istani se fit renverser, Jalil maudit le Sarmion dans son entièreté et depuis, 9 des 19 tribus ont purement et simplement disparu de la surface du globe, alors que les Vodacci avaient mis à sac même le Grand Temple de la capitale. Les sarmionais ne durent leurs saluts qu’aux travaux d’un érudit (Scélérat malgré lui…) qui retrouva une antique magie permettant d’animer la non-vie. Cela a brisé le plus sacrée de leurs tabous, et nombre de soldats en sont sortis… transformés…

Le Sarmion est donc une société à reconstruire, mais : dans quelle direction ? Pour aider les Héros, le Chozeh, la sorcellerie yashidis, est tirés des promesses d’Elohah (le nom yashidi de Theus), une poésie dont chaque strophe permet de graver une amulette pour un pouvoir distinct. Ceci permet d’obtenir ou de donner le pouvoir des mots d’Elohah à quelqu’un.

Le Sarmion permet assez facilement de jouer sur des quêtes ésotériques inspirées des mythes judéo-chrétiens (lever la malédiction du Shah ? Retrouver les Promesses Perdues ou éviter qu’elles ne tombent dans de mauvaises mains ?), sans parler des complots qui peuvent cibler le dernier descendant royal, vu que Batya ne veut pas régner.

Les tribus de la Huitième Mer

Déjà, rien que le nom « Huitième Mer » claque, non ? il s’agit en fait de l’immense désert qui doit constituer environ la moitié de la superficie de l’Empire. Quand on pense « Empire du Croissant », deux images doivent venir instantanément en tête : le Bagdad d’Aladin et les déserts infinis. Les tribus vivent dans le second (le premier, c’est l’Anatol Ayh, si vous avez bien suivi).

Ici, l’auteur dresse avant tout un portait culturel de ces habitants des conditions extrêmes, et du besoin de veiller sur les autres pour s’en sortir. Ainsi, les tribus sont nomades, et leurs organisations sont très fluides, car elles peuvent du jour au lendemain ne plus être composées des mêmes individus. Pour autant, ce qui va les différencier sera leur religion païenne ou diniste (musulman), bien entendu, mais aussi leur mode de vie : tout accès sur des caravanes marchandes (Qabilat al-Jamal, la tribu du Chameau), éleveurs des meilleurs chevaux du monde – les seuls à résister au désert (Qabilat al-Hissan, la tribu du Cheval) ou des éleveurs-chasseurs (pilleurs ?) dinistes (Qabilat al-Thi’b, la tribu du Loup).

Dernièrement, les Loups, tribu la plus pauvre et moins nombreuse, se sont fait chasser de leur territoire par le gigantesque serpent de sable (évidemment !) Saghira. Ils ont donc dû trouver refuge auprès de plus costauds qu’eux, les Chevaux, qui n’ont pas eu d’autres choix d’honneur que de les accepter… mais pas trop près. Cette proximité, et la nécessité de diviser les ressources déjà précaires du désert, génère des tensions qui pourraient, à terme, ensanglanter le désert. Surtout que les djinns, ces esprits tantôt bienfaiteurs lorsqu’ils offrirent aux bédouins la magie Mithaq Alqadim, tantôt malfaisants, peuvent jouer des tours pour récupérer leur tranquillité ou la dévotion de ces humains vénérant un soi-disant dieu unique.

La Mithaq Alqadim permet, via un objet focalisation dédié à un djinn, d’octroyer un pouvoir à quelqu’un, dans cette logique que seule la collaboration permet la survie. Simple et évocateur.

Ce chapitre est assez sympa, car le plus simple et accessible dans ses enjeux et représentations. Mais là encore, si le désert peut faire un excellent cadre pour un scénario, difficile pour moi d’y imaginer toute une campagne.

La Kavita & les combats de masse

Petite surprise, le supplément détaille 2 nouveaux modes d’affrontement :

  • La Kavita est un duel de poésie, où les participants mettent en jeu leur honneur. Cela pourrait être bénin, mais un perdant peut humilier toute une famille, ou s’asservir volontairement pendant un an, sans parler bien sûr des rétributions sonnantes et trébuchantes. Le duel se déroule en 3 manches, chacune étant dédiée à un style poétique (romance, héroïsme, religion). Des arbitres décideront du vainqueur. Il y a des règles simples pour gérer ça : chaque manche est une Séquence d’Action avec une compétence unique, des avantages ou Style de Kavita permettent de faire des combos si utilisés au bon moment, et la 3ème manche vaut bien sûr double ! A noter que l’auteur précise explicitement qu’il y a un enjeu à soudoyer les arbitres 😊(ça rapporte 1D en plus).
  • Les combats de masse : arlésienne du jdr, passer du combat « tactique » à l’échelle militaire est peut-être important pour vous, mais pour moi je m’en fous. On a donc des Avantages pour chaque situation, des manœuvres, un facteur Moral et des effets par type d’unités.

Bilan

Je ne vais pas vous mentir, l’Empire du Croissant est à ce jour le supplément que j’ai lu en dernier de toute la gamme, tellement c’est un cadre esthétique qui ne m’inspirait pas grand-chose. Non pas que le monde moyen-oriental n’a rien d’intéressant à inspirer au JdR, mais juste qu’au demeurant, ça me semblait assez loin du style Cape et épée.

Ce supplément m’a-t-il fait changer d’avis ? Partiellement. Tout d’abord, la lecture a été un peu plus laborieuse que pour les autres suppléments. Un défaut d’intérêt, donc, mais aussi une certaine lourdeur et confusion sur les termes notamment liés aux multitudes de religions différentes. Ma connaissance historique de ce coin du monde n’est pas énorme, aussi j’avais plus de mal à y rattacher un imaginaire stéréotypé à la différence de la Théah ou du Nouveau monde. Mais il faut reconnaitre qu’un vrai travail a été fait pour donner de la profondeur à chaque nation, chaque civilisation. De même, toutes proposent des enjeux et des points de bascule. Par contre, sans doute parce que c’est le 6ème supplément géographique pour moi, leurs constructions commencent à se voir. A chaque fois, il faut une faction conservatrice, une réformatrice, une entre les deux qui peut basculer selon d’autres valeurs, plus mineures.

Autre regret, très personnel, c’est de ne pas avoir osé faire de la Persis un vrai méchant spectaculaire. J’imagine sans mal que cela aurait été à l’encontre de la volonté de respect de chaque culture historique (il y a littéralement un chapitre dédié à l’explication que ce supplément n’est pas de la caricature offensante), mais le Shah Jalil est un bon Scélérat, et je le trouve trop propre sur lui, les mains pas assez recouvertes de sang. Bien sûr, charge à chaque meneur d’ajuster le niveau de noirceur dans ses parties, et si j’utilise la Persis, ça lorgnera plus sur l’insurrection paranoïaque inspirée par les diables !

Par contre, le petit chapitre sur la Kavita est vraiment très inspirant et je note l’effort d’avoir inclus des PNJs internationaux pour essayer de rendre ça accessible en-dehors des salons feutrés croissantins.

Enfin, les magies sont intéressantes, et très tournées sur « le support » pour une fois, avec presque à chaque fois, une possibilité facile de mise en scène visuelle (les ailes ; les objets bédouins ou yashidis ; les pouvoirs de lumière des Assassins).

Bref, c’est un bon supplément, même si sa thématique le rend moins primordiale à mes yeux qu’un Nations Pirates ou Nouveau Monde.

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article