J'ai testé pour vous : Berlin XVIII (pbta)

Publié le par Arii Stef

Tous les 5èmes vendredis du mois, notre club organise une soirée ouverte réservée aux parties d’un soir. J’en ai profité pour proposer une séance de Berlin XVIII 4ème édition en version Apocalypse que j’avais lu il y a quelques temps. Les premières éditions de ce jeu datent des années 80. Les joueurs y incarnent des policiers dans un monde futuriste noir dans la mégalopole de Berlin. J’étais impatient de tester comment aller tourner le système Apocalypse sur un jeu d’enquête. Je ne suis pas très aguerri sur ce système n’ayant maîtrisé qu’une partie de Libreté. C’est un système qui favorise la co-construction de l’univers et de la fiction. Or les jeux d’enquête ont normalement pour objectifs de découvrir qui a commis un méfait et pourquoi (le « whodunnit »). Dans le système Apocalypse, les joueurs participent à la définition de la fiction et le MJ ne prévoit pas des événements mais gère des horloges (ou des fronts) de factions ou de situation (une escalade vers un but final) sur lesquelles ils improvisent pour réagir aux actions des personnages. Dans Berlin XVIII, le dossier (la version Apocalypse d’un scénario) ne prévoit pas forcément qui est le coupable, le commanditaire ou les indices les plus pertinents. La vérité se construit en commun ou elle n’est pas le but de la partie. Le but devient que les personnages réussissent à la prouver ou encore ce qu’ils en font. J’étais donc particulièrement intrigué de voir si ce changement de paradigme allait produire une partie cohérente et si les joueurs allaient y trouver de l’intérêt.

Préparation

J’avais joué à la deuxième édition dans les années 80. J’avais lu cette nouvelle édition et y avait repéré un dossier prévu spécifiquement pour jouer en one-shot avec une procédure d’établissement co-constructive du monde allégée et des personnages pré-tirés. Il s’appelle « Là où meurent les grands hommes ». Un ancien Falkampf, Konrad Mühe, est devenu un homme politique en vue qui brigue la mairie de Berlin. Il est le protecteur et le mécène de la Falkhaus. Son principal opposant a été reconnu coupable de divers crimes et malversations et croupit en prison. La veille du début de l’histoire, Mühe assistait à l’enterrement d’un Falkampf, quand un homme solitaire appelé Wiesler a tenté de l’assassiner. L’assaillant a été abattu. Les personnages sont chargés de l’enquête.

Si ce dossier est pour ma part rapidement assimilé, je relis les règles et la création de personnages. Je bute sur plusieurs notions, je trouve que le livre est bordélique et mal expliqué. Par exemple, je ne comprends pas la mécanique des points de preuve (qui est en fait utilisé dans les manœuvres) ni la gestion des points de stress (l’horloge associée n’est expliquée nulle part). J’ai l’impression que le livre de base présuppose que le MJ lecteur connaît déjà bien les jeux propulsés par l’Apocalypse. Malgré tout, la préparation me paraît au final plus légère que pour un jeu et un scénario traditionnels.

La Partie

Le pitch du jeu séduit rapidement 6 cobayes. C’est un bon point, malgré sa noirceur, l’univers du jeu donne envie d’y jouer. L’un des joueurs a lu l’une des vieilles éditions, les autres ne le connaissent ni d’Eve ni d’Adam. Je découvrirai à la fin de la partie que deux d’entre eux n’avaient jamais joué au jeu de rôle. D’habitude, je demande en début de partie, mais pas cette fois.

J’explique les principes de l’univers et du jeu ; j’explique notamment le partage de narration et l’objectif de créer ensemble une fiction intéressante plutôt que de découvrir le whodunnit. Je fais la distribution des personnages. J’ai l’impression que les archétypes de policiers sont bien perçus et suscitent la curiosité des joueurs. J’ai trouvé que pour un one-shot, le questionnaire simplifié permettant d’introduire des éléments sur la Falkhaus et sur le passé des personnages est encore trop long. Il aurait fallu, je pense, le resserrer encore plus sur les personnages.

Une fois le dossier parcouru (trop rapidement), les Falkampfs se rendent au domicile de l’agresseur abattu. C’est un festival de 10+, je laisse les joueurs amener leurs propres éléments sur les indices trouvés. Ça décontenance un peu les joueurs habitués aux jeux traditionnels. J’ai des sueurs froides sur la façon d’intégrer ces éléments à l’intrigue mais peu à peu les idées se mettent en place. Dans une autre scène, Cayda « Baklava » Aslan s’introduit comme serveuse à une soirée d’anciens de la Falkriek qu’ils soupçonnent d’avoir organisé la tentative de meurtre. La joueuse m’indique qu’elle tente de positionner un micro sous le plateau qu’elle vient servir au boss de ce club d’anciens. Elle fait un jet sur sa Manœuvre : demi-réussite. Ses collègues enregistrent des propos de ce boss qui ne laisse subsister aucun doute quant à son implication dans la tentative de meurtre mais à la fin de sa discussion, il repère le micro ! Ca lance la chasse contre « Baklava ». Pour sa fuite dans l’escalier, je lui fais lancer les dés pour une manœuvre « Survivre dans la jungle ». Demi-succès de nouveau : je lui propose qu’elle parvienne à s’enfuir mais qu’une serveuse turkish se prennent une balle dans la tête à sa place. Je vois que la joueuse tique que cela ne lui plaît pas. Je lui propose qu’elle parvienne à les semer mais qu’elle se foule la cheville dans les escaliers (1-stress). Elle accepte mais mettra un certain temps à comprendre que la première solution n’a pas été retenue. Cette négociation de la fiction n’est pas encore assimilée ou je n’ai pas été suffisamment clair…

Quand des points de preuve ont été accumulés et que la « vérité » semblait se dessiner, la question de « faire son rapport » s’est posé et surtout de qui incriminer. En effet, les personnages avaient découvert que la victime, Mühe, leur mécène, avait employé un assassin croate pour éliminer un concurrent à la mairie et pour sa protection. Un débat assez vif s’est engagé : faut-il le mouiller ou se contenter de décrire les motivations et les commanditaires de son agresseur. Débat d’éthiques et de risque personnel. Ils ont finalement choisi de mouiller Mühe et les dés les ont récompensés !

Réactions

J’ai trouvé le débriefing de fin de partie particulièrement enrichissant et parlant sur la partie mais aussi sur le jeu.

Deux m’ont dit que s’ils avaient su que ce n’était pas un « vrai » scénario (avec un coupable défini et une vérité fixée), ils n’auraient pas choisi ma table, mais que finalement ils ont apprécié l’expérience.

L’un d’eux n’avait pas joué au jeu de rôle depuis longtemps et m’a défini le jeu de rôle « moderne » comme un jeu destiné aux MJs fainéants : moins de règles, moins de préparation de scénario. Il n’a pas tout à fait tort : un des objectifs des jeux Apocalypse est aussi de simplifier le travail du MJ. Personnellement, je trouve ça épuisant d’improviser et de se creuser les méninges pour maintenir la cohérence de la fiction collaborative.

Une des joueuses joue au club mais n’est pas une acharnée. Elle a indiqué avoir apprécié de participer à l’histoire. Cela lui a permis de s’impliquer beaucoup plus dans la partie que dans un jeu traditionnel.

Du côté des nouveaux joueurs, j'ai ressenti une certaine facilité à  appréhender la mécanique de jeu et peu de gêne au côté participatif.

Voici le retour de Maxime, l’un des joueurs :

Totale découverte à la fois de l'univers Berlin XVIII et du système apocalypse pour moi.

Après une rapide présentation de l'univers par le MJ, nous sommes prêts à incarner des falkampfts du district XVIII dans le Berlin de 2090. On a vite fait de comprendre le contexte et les enjeux d’un monde pas si éloigné du nôtre, mais qui rappellera le genre du Roman Noir dans un environnement dystopique rétrofuturiste à la Blade Runner. La guerre, les trafics, la prostitution sont le lot quotidien de ces agents en tenue grise. Le système d’enquête se veut plutôt réaliste, avec un système de collecte de preuve, d’analyse médico-légales ou encore balistiques. Tout ceci contribue à l’ambiance sombre du jeu.

Le système apocalypse vient ajouter une fluidité et une légèreté à cela : peu de jets de dés et une mécanique centrée autour de la narration. Les joueurs et le MJ se partagent la parole pour faire progresser l’enquête dans un genre de cadavre exquis, avec toujours comme objectif d’aboutir à une conclusion cohérente. Le contexte administratif rigide de l’investigation policière a l’avantage de cadrer la discussion et de permettre à tout le monde de s’exprimer en évoquant des éléments familiers de tous, piochés çà et là dans des romans noirs, des séries policières, des œuvres futuristes ou même dans l’actualité.

Les personnages diffèrent tous par les archétypes qui les définissent, mais aucun n’est en reste lorsqu’il s’agit d’effectuer des actions. Bien que chacun ait ses spécialités, tous restent capable d’agir si l’occasion se présente.

Tout ceci conduit à une histoire semée d’embuches où le plus gros défi sera, à l’heure de la résolution de l’enquête, de raccrocher tous les wagons des pistes lancées tous azimuts durant la partie. Pour ma part une très bonne découverte et un agréable moment partagé le temps d’un one-shot.

Mon sentiment

Je dois dire que si j’avais une grosse envie de tester le jeu, j’avais une certaine appréhension et cela pour deux raisons. Tout d’abord, je craignais de le maîtriser comme un jeu classique et que finalement les joueurs ne voient pas de différence avec une partie « normale ». Ensuite, à l’autre bout du spectre, j’avais peur que la fiction ne soit pas intéressante (ou sans queue ni tête) et que les joueurs s’ennuient. Aucune de ces deux appréhensions ne s’est révélée probante. Les joueurs ont, je pense, vu une réelle différence avec le modèle traditionnel et ils ne se sont pas ennuyés.

De mon côté, je me suis bien amusé et j’ai trouvé la partie plus consistante que mon premier essai sur Apocalypse. L’utilisation des manœuvres a été assez fluide et je n’ai pas trop galéré pour interpréter les résultats. J’ai quand même sué à grosses gouttes pour maintenir la cohérence de l’intrigue, des indices et de la conclusion de l’enquête. Je pense que les sorties de route peuvent être possibles (l’histoire devenant totalement incohérente). Le mécanisme des points de preuve aurait pu être plus léché et détaillé. Si je l’applique tel quel : avec 6 joueurs, l’enquête est finie en 30 minutes.

Par rapport à Libreté, j’ai remarqué que l’improvisation et la prise en main du système était plus simple pour les joueurs. Je pense comme le souligne Maxime, cela est dû au genre Policier que nous connaissons tous et pour lequel nous avons tous des références.

J’ai bien aimé aussi ce format one-shot. Les joueurs ont laissé de côté plein d’éléments et de sujets, je pense que la rejouabilité du dossier est importante. Je le réutiliserai en convention.

Lancer une campagne ? Je suis plus perplexe sur ce point. Je sens que je manque encore d’habitude sur le système Apocalypse et l’univers en lui-même risque peut-être d’être un peu étriqué et répétitif.

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